p r e m i è r e s e m a i n e // (2)

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Le lever est encore pire que le coucher.

Ça ne vient pas tout de suite, pourtant. Lorsque tu ouvres les yeux, que ton cerveau ne s'est pas encore branché à la réalité, ça va. Pendant quelques milli-secondes, tu as l'impression de te retrouver, de renouer avec celui que tu es vraiment, pas le fantôme qui t'a remplacé depuis avant-hier ; pendant quelques milli-secondes, tu arrives à espérer que ça y est, tu es libéré, tu peux enfin aller de l'avant. Mais comment passer à autre chose en deux jours après plusieurs années d'amour inconditionnel ? Ça serait trop simple, trop facile, trop cruel aussi. L'humain a besoin d'attraper, décortiquer, ressentir chaque sentiment, chaque pic de souffrance dans sa poitrine, comme si il ne survivrait pas si au préalable il n'avait pas creusé dans sa poitrine jusqu'à en découvrir les tréfonds les plus sombres et les plus pourris.

Puis, ça vient. Ça t'explose en pleine face, comme si on te mettait un coup de poing, tu peux presque entendre les os craquer et le son craqueler dans tes oreilles. L'impression de se noyer qui engloutit tes poumons, t'empêches de prendre des souffles corrects, l'envie de pleurer sans fin au fond de la gorge, le manque qui ricane dans ta poitrine et qui semble prendre de plus en plus de place – et la peur que la gangrène t'entraîne dans son sillage, aujourd'hui. Que tu n'arrives pas à y survivre, aujourd'hui. Tu te redresses brutalement de ton lit, tes doigts attrapent ton portable, ouvrir les messages et t'as envie – t'as tellement envie d'envoyer quelque chose, n'importe quoi, tu me manques, reviens, comment ça va aujourd'hui ?, t'es heureux ? Dis-moi que t'es heureux, dis-moi au moins ça, que ma douleur soit pas là pour rien, qu'elle ne soit pas vaine, qu'elle ne rime pas à rien, dis-moi que tu penses à moi au moins un peu, dis-moi ce que je veux entendre et ce qui me ferait te détester -

je t'aime

je te déteste

je sais plus

sauve-moi

sauve-moi

je me noie, sauve-moi.

Puis tu sembles te rendre compte du gouffre dans lequel tu es plongé. Envoyer ça, c'est signer ton arrêt de mort. Envoyer ça, c'est lui dire : tu m'as touché en plein cœur, j'suis plus rien sans toi et toi, tu veux pas être plus rien sans lui, tu veux être quelqu'un quelque chose un rien un souffle un battement de cœur total complet sans l'impression d'avoir cette épine qui pince qui troue qui transperce ta paroi qui te tue sur place, lentement, avec patience et précision. Tu verrouilles ton portable, sors du lit, café, tu as besoin de café, et peut-être d'une tartine aussi. C'est dingue, cette impression de vivre la même journée en boucle, de ne pas avoir quitté ton quotidien et pourtant de se sentir si différent, si décalé, comme si on t'avait arraché de toi-même pour te faire voir la situation d'ailleurs. C'est désagréable, en fait.

Comment faire pour revenir en toi-même ? Comment faire pour redevenir toi ? Comment faire pour t'attraper, t'attacher, rester là où ton corps est sans avoir l'impression de flotter à des milliers de kilomètres de là ? Qu'on te donne un mode d'emploi des ruptures, toi tu sais pas faire. Tu bois ton café, adossé au plan de travail, regardant autour de toi avec les flashs qui te viennent en tête dès que tu poses ton regard quelque part. La télé que vous avez galéré à brancher, parce que vous n'avez jamais été très doués avec l'électronique. La table basse sur laquelle tu t'es assis, un soir, en face de lui, juste pour l'emmerder alors qu'il jouait à la Play. Le canapé qui a connu les étreintes, les baisers, et même un peu plus que ça, faisant voler les coussins parfois jusqu'à l'autre bout du salon lorsqu'Elian se faisait vraiment passionné. Habituellement, le matin, il venait entourer ta taille de son bras, posant son menton sur ton épaule en te chuchotant de sa voix encore embrumée par le sommeil de lui faire une tasse ; et, comme un besoin, tu passes ta main libre autour de ton ventre,

Ton Epine // LarryWhere stories live. Discover now