t r o i s i è m e s e m a i n e // (2)

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Tu devrais te reposer. Tu le sais, Harry, que tu ne devrais pas bouger de chez toi, rester au lit, dormir – laisser ton corps reprendre des forces et lutter contre ce qui est en train de te bouffer. Tu devrais, mais tu ne le fais pas. Tu es quelqu'un qui s'ennuie plutôt vite, enfermé chez lui à ne rien faire et maintenant que tu as officiellement arrêté de travail pendant deux semaines, tu as envie d'en profiter un peu. Tu ne comptes rien faire de fou, juste ce que tu as toujours repoussé par soi-disant manque de temps. Tu n'as pas lu un livre depuis des mois et maintenant que tu t'es enfin posé, tu en as de nouveau envie. Ce n'était pas une activité qui te demandait trop d'efforts, ça ; le truc, c'est que tu n'as plus aucun bouquin à lire chez toi, tu as rapporté les derniers à la bibliothèque il y a un petit bout de temps déjà.

Tu devrais te reposer ; tu vas te reposer. Mais avant ça, il faut que tu sortes, une toute dernière fois. Un petit aller-retour à la bibliothèque, cela devrait être simple non ? Tout d'abord, sortir du lit ; c'est assurément la partie la plus compliquée. Parce que tous les matins, tes poumons brûlent encore plus que le reste de la journée. Les médicaments ne font plus du tout effet, ils se sont totalement dissous dans ton corps et c'est toujours à ce moment-là que tu te rends compte que même si ils n'enraient pas l'avancée de la maladie, ils te permettent en revanche de mieux la vivre, d'apaiser les douleurs et les brûlures de l'intérieur. Tu mets vingt bonnes minutes à attendre que le feu s'apaise légèrement – bien trop légèrement – avant de parvenir à te redresser dans un grognement. Première étape : réussie. Tu te traînes jusqu'à la salle de bain, avalant rapidement ton cachet avant de te glisser sous le jet brûlant de ta douche.

C'est déjà beaucoup mieux. Tu vas y arriver. Un aller-retour, tout simple ; tu ne feras rien de plus, tu te le promets.

Ton corps a bien tenu le travail à la pharmacie depuis tout ce temps ; il peut bien tenir un passage rapide par la bibliothèque, non ?

Il faut encore que le médicament fasse effet, pour ça. Tu passes par la case cuisine, fixant quelques instants ta machine à café en te demandant si tu en as envie, décidant finalement que non, pas du tout. Tu vas donc t'écrouler sur ton canapé en attendant que la douleur s'apaise un peu, maudissant ces fichues pilules d'être de plus en plus lentes avant de faire effet. Tu ne te donnes pas le droit d'être en colère contre Elian, contre votre rupture, tu ne te donnes pas le droit de lui en vouloir, de le maudire. Mais rien ne t'empêche de le faire contre la maladie. Et bordel, qu'est-ce que tu lui en veux, de t'arracher ainsi à ton quotidien, à la pharmacie, à tes amis, à ta déprime aussi – tu te dis que tu ne peux même pas faire le deuil de ton amour correctement que déjà, tu devais faire face à autre chose de bien plus grand, de bien plus grave.

(Le deuil de toi-même

peut-être

parce qu'au fond n'es-tu pas en train de

pourrir

de l'intérieur ?)

- Il ne vaut mieux pas penser à la maladie et jusqu'où elle va t'emmener -.

Tu somnoles, encore. C'est l'autre versant de la maladie, du corps qui lutte mais qui pourrit : le sommeil, qu'on pense réparateur, qui en fait te permet surtout de survivre et de tenir sans réellement te réparer. Peut-être qu'il est impossible de te réparer, en vérité ; peut-être qu'il est bien trop tard, que tu es bien trop atteint, bien trop cassé. Que tu auras beau dormir des heures, des semaines, des mois, le sommeil ne parviendra pas à te remettre sur pieds, à tout arranger. Tu vois bien un médecin te dire ça : « Monsieur, vous êtes condamné. On ne peut pas vous réparer. » À la place de son stéthoscope, une clé à molette qu'il tiendrait fermement entre ses mains. Le corps est une mécanique compliquée, reliée si étroitement au cœur que ça en est presque irréel ; et ton cœur à toi, il tangue depuis longtemps, il était évident qu'il allait finir par entraîner ton corps dans sa chute infinie.

Ton Epine // LarryWhere stories live. Discover now