p r e m i è r e s e m a i n e // (4)

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« Ça te dirait d'aller boire un coup, ce week-end ? » Tu fixes longuement Niall à cette proposition. Tu ne sais pas vraiment quoi répondre – tout simplement parce que tu ne sais même pas si tu en as envie ou non. Tu n'arrives plus vraiment à analyser tes pensées, tes envies et tes émotions, depuis qu'Elian est parti ; tu t'es mis sur pause, mode automatique, et t'es en cet instant incapable de savoir si tu veux rester chez toi, roulé en boule sur le canapé tout le week-end, ou si tu veux t'en mettre une bonne dans la gueule en espérant que ça te fasse te sentir mieux. Tu n'as pas pour habitude de boire à outrance, en temps normal ; c'est la première fois qu'il te propose quelque chose du genre, d'ailleurs, quand tu y penses, ce qui te pousse à t'interroger sur à quoi tu peux bien ressembler en cet instant. « ... D'accord. » Peut-être que si tu atteignais le fond tout de suite, tu pourrais remonter plus rapidement, qui sait.

Tu l'espères.

Tu t'insupportes ; tu ne peux même plus te regarder dans un miroir.

Il y a de ça, dont on parle peu aussi, dans les séparations. Cette confiance en soi qu'on attrape et qu'on éclate au mur, qu'on regarde exploser en mille morceaux et s'effondrer à nos pieds, finissant par regarder notre reflet au travers en se disant qu'on était finalement mieux avant. Tout ce que tu avais appris à aimer chez toi à travers les yeux d'Elian apparaissent à présent comme les pires des défauts ; pire encore, comme la cause de votre séparation. Si j'avais été un peu plus patient ce soir-là, peut-être qu'il serait encore là. Si j'avais pas fais mon caprice, cette après-midi là, il ne serait pas tombé amoureux de quelqu'un autre. Si... Si j'avais été plus beau, plus mince, plus grand, plus plus plus toujours plus – parfait, voilà ce que tu aurais dû être

parfait

parce qu'on ne quitte jamais les gens parfaits, n'est-ce pas ?

Aimer les défauts des autres, c'est de la pure connerie pour paraître plus gentil et plus humain. Même ce qu'on aime au début finit par nous dégoûter, parce qu'on a trop idéalisé notre amour et qu'on tombe de haut lorsqu'on se rend compte qu'il ne ressemble en rien à l'idée qu'on s'en faisait. Peut-être que tu aurais dû lui demander comment il t'avait imaginé, à votre rencontre ; peut-être que si tu avais fais un effort pour répondre à son rêve, à son imagination, à ses critères, il serait encore là. Et quelque part au fond de toi, y'a cette petite voix que tu détestes tant qui te chuchotes qu'il finira par se lasser de l'autre aussi, comme il s'est lassé de toi, et que ça sera bien fait pour eux. Tu te détestes pour ça aussi, cet égoïsme sous-jacent, cette petite voix perfide qui profite toujours d'un moment de faiblesse pour réapparaître et cracher son venin. Tu n'es pas la personne douce et gentille que tu aimerais bien faire paraître, Harry et

tu te détestes tellement pour ça, aussi

tu te détestes tellement pour tout.

C'est bientôt la fin de la journée mais tu n'as pas envie de rentrer, vraiment pas. Tu veux pas pousser la porte de cet appartement que tu détestes, pour écouter cette voix que tu détestes, en regardant le plafond pendant des heures avec ces fissures que tu détestes. Tu attends un miracle, tu le sais, mais un miracle qui ne viendra jamais, tu le sais aussi. « Ni ? » Il ferme la porte de derrière par laquelle vous sortez toujours et se retourne ensuite vers toi, curieux. Tu hésites, un moment. Tu ne veux pas le déranger. T'as l'impression de faire que ça, depuis lundi : le déranger. Sans cesse. Tu es le pire meilleur ami du monde, incapable de t'en sortir par lui-même ne serait-ce qu'une fois. Toujours en train de te raccrocher aux autres pour ne pas couler. C'est arrivé souvent avec Elian aussi, l'impression de ne pas respirer correctement, de nos poumons remplis de liquide, l'étouffement, la compression, l'angoisse qui tord les tripes, et lui qui te rattrape, t'empêche de sombrer. Parfois, il n'y avait même pas de raison – juste ton esprit qui ne marchait jamais droit. « J'veux pas rentrer. » Que tu souffles du bout des lèvres, presque honteux de ton aveu.

Ton Epine // LarryWhere stories live. Discover now