d e u x i è m e s e m a i n e // (4)

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Ça n'a pas l'air de bien marcher, que tu te dis en te levant ce matin et en t'observant dans le miroir. Deux jours depuis cette fameuse prescription et tu as pourtant l'impression de devenir de plus en plus pâle – et tes yeux de plus en plus rouges. Mais tant que tu arrives à tenir debout, c'est que tu n'as pas trop à t'inquiéter, alors tu ne le fais pas. T'arrives tout de même à la pharmacie avec un plaid sur les épaules (en plein été), niquant ainsi tout le peu de glamour qui pouvait te rester, sous l'air effaré d'un Niall toujours plus inquiété. « T'es certain que tes médocs marchent ? » Qu'il te demande et cette synchronisation inconsciente te fait ricaner. Ça a toujours été comme ça entre vous, d'aussi loin que tu t'en souviennes ; tu penses un truc et peu de temps après, Niall l'énonce à haute voix. « J'ai un doute, mais ça ne fait peut-être pas assez longtemps encore. Tant que je suis là, c'est que ça va, non ? » Tu lui souris d'un air angélique alors qu'il soupire, visiblement désespéré par ton manque d'intérêt envers ta propre santé.

Ça n'a pas tant d'intérêt que ça pour toi ; tant que tu peux marcher, fonctionner, tu n'y portes pas grande attention. Tu n'y as jamais porté grande attention. Déjà, tout petit, c'était ta mère qui devait te forcer à aller au lit lorsque tu avais de la fièvre, parce que toi ça te passait totalement au-dessus ; tu avais beau être assommé, haletant, envahi de bouffées de chaleur, tu te disais que de toute façon ça allait vite passer et que tu n'avais pas besoin de te reposer. Tu vas accueillir la cargaison du jour, découvrant par la même occasion que ça n'est pas le même livreur qu'avant ; tu ne sais pas trop si tu dois t'en sentir attristé ou soulagé. Peut-être les deux à la fois. Si il avait été là, tu aurais senti toute la gêne que sa demande de la dernière fois a amenée et tu n'as pas vraiment l'énergie d'affronter ces silences et ces regards en coin, aujourd'hui.

Le temps de midi arrive plus vite que ce à quoi tu t'attendais. Lorsque la fumée de ton repas t'arrive aux narines, ton ventre se met à gargouiller et tu prends toujours ça comme un signe de bonne santé. Tant que tu as faim, c'était que tu ne vas pas si mal que ça et que tu ne vas pas tarder à guérir. Tu entames donc ton repas avec appétit sous l'œil amusé de ton meilleur ami. « Ça ne t'a pas fait perdre ton appétit d'ogre en tout cas. » À défaut de pouvoir lui répondre (tu es poli, quand même, tu sais qu'on ne parle pas la bouche pleine) tu lèves plutôt le pouce en l'air afin de lui signifier qu'il a totalement raison. Tu termines ta gamelle en deux temps trois mouvements, la rangeant dans ton sac avant de te relever. Trop vite. Tu vacilles un peu, te rattrapes à la table et préfères te rasseoir le temps que les étoiles s'en aillent. « ... Mouais, j'ai rien dit, faut y aller pour que tu aies des vertiges quand même. » que Niall rajoute, sourcils froncés. Tu le rassures d'un sourire. « Je me suis juste relevé trop vite, t'inquiètes pas. » Tu recommences, beaucoup plus doucement cette fois et, miracle, la pièce ne tourne pas. « Tu vois ! » Tu le laisses terminer son propre repas et retournes ouvrir la pharmacie un peu plus tôt que l'horaire habituel, parce que travailler est toujours le meilleur moyen pour ne pas penser.

Tu es donc encore seul lorsqu'il passe les portes automatiques, lançant le petit carillon habituel auquel tu ne prêtes plus attention depuis longtemps.

C'est uniquement lorsqu'il arrive devant ton comptoir que tu relèves la tête pour accueillir ton client et que tu rencontres ses pupilles.

Yeux bleus de mer

Yeux bleus des enfers

(ah, ça n'était donc pas l'alcool qui te l'avait fait miroiter)

il était donc bien réel,

ton noyé du bar.

Tu le dévisages, longuement, comme arrêté dans le temps. T'as l'impression de découvrir un trésor, sans réellement en comprendre les conséquences. Tu sais juste qu'il est beau, qu'il n'est pas le fruit de ton imagination et que ses larmes au bar ne l'étaient par conséquent pas non plus. Tu ne sais pas vraiment quoi faire de cette information ; tu ne sais pas quoi faire tout court, en fait. Il ne doit même pas se souvenir de toi, en vérité. Il t'a bousculé sans même te regarder, sans même s'excuser, tu étais totalement insignifiant devant lui ce soir-là car la seule chose qui comptait était son chagrin. Tu le comprenais, tu le comprends toujours d'ailleurs ; toi ça fait deux semaines et t'as toujours cette impression constante d'être entouré de cette bulle de tristesse qui ne veut pas te lâcher et te pompe toute ton énergie. Le jeune homme éternue et cela te fait sursauter, semble te ramener sur Terre même si tu ne le lâches pas du regard. « Euuh... B-bonjour. Que puis-je faire pour vous ? » B-bonjour ?

Ton Epine // LarryWhere stories live. Discover now