d e u x i è m e s e m a i n e // (3)

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Il a ouvert les yeux quelques heures après s'être effondré et vous n'en avez pas vraiment reparlé.

Pourtant, quelque chose s'est cassé en lui, ce jour-là. Le silence est devenu une part de lui-même, comme s'il prenait ses distances entre lui et le monde pour moins souffrir – ou pour se faire à l'idée qu'il n'en ferait bientôt plus partie, peut-être. Tu ne sais pas vraiment. Tu le laisses tranquille parce que tu es bien placé pour savoir ce que ça fait, de ne plus rien savoir de nous et du reste, de s'interroger sur notre existence, d'en vouloir à la planète entière de ne rien pouvoir faire pour nous sauver. Tu en es encore plein, toi, de colère ; parfois, tu en débordes tellement que tu ne sais plus quoi en faire. Tu rêves de hurler, de tout casser, de frapper tous ceux qui sont responsables de ton malheur – même si au fond, personne ne l'est vraiment. C'est juste comme ça. Il n'y a pas de raison spécifique à la mort ; elle est juste là, c'est tout. Un jour, elle vient frapper à notre porte et nous ne pouvons rien faire d'autre que de la laisser entrer. Alors tu cries, mais en silence. À l'intérieur, c'est un champ de bataille, il n'y a plus que des ruines tant tout a été secoué par tes colères ; mais tu ne n'en montres rien.

Les plus grandes explosions se font toujours en silence et la plus grande misère derrière les yeux fermés.

Aux informations, ils ne parlent plus que de ça, tout le temps. Le nombre de comas a augmenté, qu'ils soient artificiels ou non. On se demande qui a rapporté la maladie, d'où est-ce qu'elle vient, quelles conséquences elle aura si elle s'étend encore plus. Les hypothèses et autres complots vont bon train sur les réseaux sociaux – certains disent que c'est le gouvernement qui l'a implantée là, car quoi de mieux que de détruire l'amour pour pouvoir mieux diriger un pays ? D'autres pensent au châtiment divin ou encore à une revanche de la nature. Toi, tu ne penses rien. Tu regardes la télé les yeux vides, tu les écoutes discuter sur ta maladie et estimer tes chances de survie sans jamais avoir une seule pensée pour vous autres les malades, les condamnés. Tu aimerais que quelqu'un vienne et leur dise : c'est comme ça et puis c'est tout, maintenant arrêtez, tout ça ne sert à rien car au final, on ne sait rien.

Mais personne ne vient sur ce fichu plateau de télévision alors tu finis par éteindre l'écran. Les humains ne sont définitivement pas prêts à avouer quoi que ce soit lorsqu'ils ne savent rien – leur ego est sûrement bien trop surdimensionné pour qu'ils puissent admettre ne rien connaître sur cette gangrène qui vous envahit. Ton regard se perd un instant vers la fenêtre, dehors, il fait toujours aussi beau. Les nuages se situent bien plus profondément, à l'intérieur de ta poitrine. Ils assombrissent tout et empêchent le moindre rayon de soleil de parvenir jusqu'à ton cœur bien trop malade. Au final, tu te demandes si tu es plus en manque de vitamines ou d'amour. Sûrement les deux.

Tu en as marre de rester assis sur ce lit depuis deux jours. Tu finis par virer la couverture pour descendre du matelas, lentement, sourcils froncés tant tu te concentres pour évaluer ton pourcentage de chances de t'écraser à peine debout. C'est de pire en pire ; parfois, tu n'arrives même pas à marcher. Mais aujourd'hui, cela semble aller. C'est un jour où la maladie ne se fait pas trop présente, où tu pourrais presque te dire qu'elle est en train de s'en aller. « Tu vas où ? » Tu tournes la tête vers Louis qui semble sorti de son monde et qui t'observe, intrigué. Tu lui souris et hausses les épaules, nonchalant. « Faire le tour de l'hôpital ? Marcher un peu. Je m'ennuie. » Louis n'hésite pas un instant lorsqu'il se lève à son tour, malgré son vacillement et ses jambes légèrement fébriles. « Je viens avec toi. » Mais lorsque tu lui tends le bras, il te passe devant sans un regard.

Ah, cette fichue fierté. C'est peut-être elle qui aura votre peau, bien avant la gangrène.

Vous marchez, silencieux, l'un à côté de l'autre. Encore une fois, le personnel ne vous calcule pas vraiment. L'hôpital est encore et toujours plus occupé, rempli, presque à deux doigts de déborder. Toujours plus de malades, toujours plus de panique, toujours plus de cernes et de traits tirés. Tout le monde est au bord du gouffre, incapable de se projeter ou de savoir comment tout ça va se passer. « Heeey ! Psst, vous là ! » Vous vous arrêtez, un peu surpris d'être interpellés, un peu angoissés à l'idée d'être renvoyés dans vos quartiers. Mais après un scan rapide du regard, la voix vient d'une des chambres dans laquelle vous passez la tête. « Z'êtes des patients nan ? J'le vois, vous tremblotez comme des feuilles, c'est clairement pas un signe de bonne santé ça. Vous aussi vous avez la maladie de l'amour ? Putain, quel nom de merde, ils auraient pu trouver mieux. » Vous écoutez, perplexe, cette femme d'une cinquantaine d'années déblatérer ces phrases plus rapidement que la lumière. Elle a l'air d'un sacré phénomène et tu adores les phénomènes.

Alors, sans hésiter un instant de plus, tu entres dans la chambre et t'installes au bout de son lit. Louis, lui, hésite un peu plus, jetant de drôles de regards à la dame qui le lui rend bien. Ça te fait rigoler. « Vous allez pas nous mordre, non plus. » Que tu fais remarquer et la femme hausse un sourcil. « Parce que tu crois que j'en serais pas capable ? » ... Si, complètement. Tu ne sais pas pourquoi car tu as abandonné l'idée de comprendre la logique de Louis un jour, mais cela semble le rassurer car il te rejoint. « Aussi jeunes et déjà terrassés par l'amour... La vie ne nous aura pas fait de cadeaux, hein ? Moi, j'm'appelle Camille, y'a un trou du cul qui m'a plaquée du jour au lendemain donc maintenant j'me retrouve là. » Tu aimes bien sa façon de parler, à Camille. Elle a les yeux remplis de rage de vaincre, de rage tout court, ça se voit qu'elle veut se battre, aussi bien contre la gangrène que contre le type qui l'a laissée. Vous êtes à ses côtés depuis moins de cinq minutes et tu sais déjà que le mec ne la méritait pas.

« Moi c'est Harry. Et lui, c'est Louis. » Tu as un geste vague vers Louis qui grommelle que tu pourrais faire un effort de présentation, ce qui te fait tirer la langue. « Enchantée. Vous êtes ici depuis longtemps ? » Louis se renferme presque aussitôt. Tu le dévisages quelques instants avant de sourire un peu plus faussement à Camille. « Plus de deux semaines. Presque trois. » Elle écarquille un peu les yeux, avant de froncer les sourcils. « C'est trop bizarre. J'ai ma voisine de chambre, elle était là depuis l'même temps qu'vous, mais elle, elle est dans le coma. Z'avez l'air en bonne forme, pourtant. Enfin, en bonne forme par rapport à la maladie qu'on a. » Elle ricane mais même toi tu peux entendre que c'est un rire teinté de tristesse.

Elle reporte son attention sur Louis qui se faisait bien silencieux depuis le début de l'échange. Elle l'observe quelques instants, une drôle de lueur dans le regard, avant de reprendre la parole. « Toi, t'arrives pas à t'y faire, nan ? Ça s'voit à ton air, t'es en colère. T'as pas envie d'crever. Comme personne ici, tu m'diras. Mais toi, ça bouillonne vraiment. » T'es surpris. Choqué, même. T'as jamais osé foncer droit dans le mur avec lui de cette façon, par peur qu'il te saute à la gorge. Pourtant, avec elle, il n'en fait rien. Il baisse simplement les yeux, lui confirmant tout ce qu'il ne dit pas. Tu crains d'ouvrir la bouche alors tu te contentes d'observer l'échange de loin, abasourdi. « Va falloir que tu craches tout ça un jour ou l'autre. J'veux dire, ça serait dommage que tu te retrouves dans le coma avec toute cette haine en toi, nan ? » Il fronce un peu les sourcils. « Si j'savais comment faire, je l'aurais déjà fait. »

C'est plus fort que toi. Tu as l'impression que tu dois lui donner ton soutien, d'un coup. Que tu dois lui montrer que tu es toujours là. Alors, timidement, ta main vient chercher la sienne. Il te regarde, un instant surpris, souriant la seconde d'après. Devant ce sourire, tu ne peux empêcher un sourire soulagé de passer tes lèvres. Camille vous regarde, le sourire aux lèvres. « C'est bien, le soutien. C'est c'qu'il faut. Avec ma voisine de chambre, on se soutenait beaucoup. Elle voulait faire un groupe de soutien, vous savez ? J'pense que jvais faire tourner le mot, dans l'hôpital. Groupe de soutien, ici, dans ma chambre. Vous seriez partants ? » Si Louis hésite, toi, tu t'élances sans le consulter. Même pas pour toi, mais pour lui. Tu sais, tu sens qu'il en a besoin. « Oui ! Ça serait avec plaisir. Quand ? » Le plus rapidement possible – tu le penses mais sûrement qu'elle aussi. Au-dessus de sa tête, il y a également cette épée de Damoclès, prête à la faucher à la moindre seconde d'inattention. « Mercredi prochain. On dit 14h ? Si vous en avez la force, bien sûr. » Tu hoches la tête.

La force, tu vas bien la trouver quelque part, si c'est pour y tirer Louis.

« Ça marche. On sera là. » Tu n'as pas lâché la main de Louis et tu la serres un peu plus fort. Camille bâille alors et se réinstalle confortablement dans son lit. « Bon, eh bien, à mercredi. Vous m'excuserez, mais causer autant ça m'a piqué tout mon souffle. J'vous dis à la prochaine. » Vous ne protestez même pas. Après tout, c'est sa chambre et même si vous êtes mis à la porte un peu brusquement, vous ne vous sentez pas virés pour autant. Vous sortez de la chambre en refermant la porte derrière vous avant de vous faire face quelques secondes... Et d'éclater de rire. C'était une rencontre totalement impromptue, improbable et pourtant très forte en émotions. Camille, c'est une tornade de vie qui passe dans notre vie dans un seul coup de vent salvateur pour le reste de notre vie.

Vous vous marrez un bon moment sur le chemin de retour vers votre chambre ; Louis semble déjà un peu plus apaisé, plus souriant. La tempête dans son regard est moins présente.

Ton Epine // LarryWhere stories live. Discover now