t r o i s i è m e s e m a i n e // (2)

14 2 1
                                    

Vous êtes réunis autour du lit de Camille, pour la première fois.

Vous êtes en tout sept, plus ou moins en bon état. Quatre filles en comptant Camille et trois garçons, dont toi et Louis. Le dernier s'appelle Emile, il est assis dans un fauteuil roulant, sa bouteille d'oxygène à ses côtés. Toi, tu as fait ta séance peu de temps avant la réunion, afin d'éviter les problèmes. Tu te sens un peu mal à l'aise, d'être là, entouré de personnes qui ont la même gangrène que la tienne, celle d'avoir trop aimé. As-tu seulement le droit d'avoir accès à leur cœur de cette façon ? Tu n'en es pas certain. Tu as l'impression que cette maladie est intime, bien plus encore que les autres. Elle recèle la blessure profonde de l'amour à sens unique, qui ne rime à rien, c'est le syndrome du cœur brisé mais sans la crise cardiaque foudroyante qui l'accompagne.

Juste une morte lente, douloureuse, où on a le temps de contempler notre propre chute, d'attendre patiemment l'impact contre le sol. As-tu le droit d'avoir accès à ces ténèbres-là ? En as-tu seulement envie, au moins ? Tu vas devoir montrer les tiennes, aussi. On fait comment, dans ce cas, pour expliquer qu'on ne sait pas aimer correctement, ni vivre correctement tout court ? Tu ne sais pas y faire, toi. T'as peur de les effrayer en leur montrant ce qu'il y a au plus profond de toi. Tu es bien conscient, pourtant, que tout le monde a sa part de doutes et d'obscurité, mais parfois tu as l'impression que la tienne ne ressemble pas à celle des autres. À part Louis. Mais Louis, il est comme ta moitié ; il ressent tout ce que tu ressens, passe par tout ce par quoi tu es passé. Il a juste moins peur de les assumer, moins peur de les crier.

Camille prend la parole. « Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui, ça m'fait plaisir. J'vais essayer gérer ce groupe de paroles du mieux possible, même si j'suis pas sûre de tenir très longtemps. » Elle ricane et entraîne le rire gêné de quelques participants. Trois, pour être précis. C'est l'avantage de pas être beaucoup – elle a dû faire ça en petit comité par manque de moyens, vu l'affluence qu'il y a à l'hôpital normalement. « Je suis une patiente comme vous, je ne me considère pas comme spécialiste ou autre. J'ai voulu organiser ça simplement pour qu'on évacue un peu tout ce qu'on accumule depuis... Notre diagnostic. » Elle se focalise notamment sur Louis qui détourne le regard, mal à l'aise. « Nous allons commencer par faire le tour des participants pour une petite présentation. Rien de bien transcendant : prénom, âge, profession, depuis combien de temps êtes vous là... Pas besoin d'aller très loin. » Elle tourne alors la tête vers une jeune femme rousse qui semble être la plus jeune de vous tous. « On va commencer par toi ! » La concernée se racle la gorge, ses joues rougissant à la vitesse de la lumière.

Tu trouves ça mignon.

Ça te fait sourire.

Ça te détend, un peu – ça détend toujours, de voir quelqu'un stresser plus que nous.

« Je m'appelle Maxine. J'ai 17 ans. Je suis lycéenne, j'allais passer le bac cette année. » Le fait qu'elle ait utilisé le passé installe un long silence. Tu as mal au cœur, presque autant pour elle que pour toi. Elle est... Si jeune. Si innocente. Elle avait encore tellement de trucs à découvrir de la vie. Comment a-t-elle pu se retrouver là ? Trop tôt brisée, trop tôt délaissée. Incapable d'aimer correctement, déjà. Tu aimerais la prendre dans tes bras, mais cela serait bien trop étrange, alors tu ne fais qu'écouter la deuxième présentation de la fille juste à côté d'elle. « Solène. 38 ans. Je suis maîtresse d'école. J'ai une classe de CE1, CE2 et CM1. C'est mes petits rayons de soleil. » De nouveau, un silence compréhensif. Sa voix s'est cassée sur la fin et tout le monde a compris qu'elle a fortement pensé au fait qu'elle ne terminera peut-être pas l'année avec eux.

T'as décroché pour les deux derniers. C'est pas compliqué, pourtant, d'écouter quelqu'un se présenter, mais il t'arrive pourtant souvent de perdre le fil ; les mots s'embrouillent dans ton esprit, ne forment plus des phrases sensées, tu sais pourtant que tu tentes de les écouter mais les sons ne parviennent pas jusqu'à ton cerveau. Tu arrives cependant à capter leurs prénoms (Caroline et Joshua) et tu te dis qu'avec ça, tu peux au moins garder la face et faire semblant d'avoir suivi leurs présentations. C'est alors à Louis de faire la sienne et c'est comme ça que tu apprends qu'il a deux ans de plus que toi et est pâtissier et qu'il tient une petite boulangerie à quelques rues de la pharmacie. Ça te fait sourire, d'apprendre un truc en plus sur lui, même si c'est juste un âge et un métier, même si c'est juste deux mots sur l'immensité de sa vie. Tu n'arrives à détacher ton regard de lui uniquement que lorsqu'on t'interpelle pour te présenter à ton tour.

Ton Epine // LarryWhere stories live. Discover now