Chapitre 41 - Meurtrie

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— Assieds-toi, ordonne le Chuchoteur dans un sifflement sinistre.

Je m'agenouille dans la baignoire et m'appuie instinctivement le front contre le rebord, en priant pour qu'il n'ait pas sa trousse avec lui. Ses pas ses rapprochent encore de moi, et je respire si vite que je suis à deux doigts de l'hyperventilation. Je vais mourir, c'est sûr. Je ne respire déjà plus, je manque d'air.

— C'est une crise de panique, déclare-t-il simplement. Je fais cet effet-là à tout le monde.

Il part d'un grand rire éraillé, et lorsque je lève les yeux de la porcelaine immaculée, je vois sa main écarter délicatement le rideau de plastique. Je suis presque étonnée de constater que sa peau et ses ongles ont une apparence aussi soignée, et non l'aspect décharné de celle de la Mort incarnée. Sur son petit doigt, un grain de beauté attire mon attention. Il est si noir que malgré le fait qu'il soit de la taille d'une tête d'épingle, c'est tout ce que je vois jusqu'à ce qu'il disparaisse sous la surface de l'eau.

Suivant la main, un bras dénudé plonge à son tour avec lenteur, le corps de la Faucheuse se penchant vers moi jusqu'à ce que seule la mince membrane de plastique ne me sépare du visage du Chuchoteur, ou plutôt de sa capuche, puis ressort avec le bouchon de la baignoire, qu'il enroule avec minutie autour du robinet, à l'endroit même où j'ai pris l'habitude de le faire sécher.

— Un accident est si vite arrivé...

Il murmure ces dernières paroles, épargnant mes oreilles, mais non mon esprit.

— N'oublie pas, tu as six jours, Lyvie. Tic, tac.

Le rire qui l'escorte hors de chez moi me cause une nouvelle crise de panique, et je reste prostrée, complètement nue dans ma baignoire vide, jusqu'à ce que ma maison de papier me hurle que l'intrus est parti, en tremblant elle aussi.

Ma respiration se stabilise à mesure que ses pas s'éloignent, mais lorsque j'arrive enfin à chasser les pois qui dansaient devant mes yeux, l'eau de la baignoire s'est enfuie depuis longtemps elle aussi, et je claque des dents, une fois de plus glacée par mon interlocuteur. Puisque j'ai entendu la porte claquer derrière lui, ni une ni deux, je me rue hors de la salle de bain, manquant de glisser sur le carrelage au passage, dans le but d'aller me vêtir pour quitter cet endroit où tout le monde entre à son bon vouloir comme dans un moulin.

Hors de question que je reste ici une minute de plus. Je trouverai bien un logement abordable à la journée, ou au moins quelques heures! Une partie de ma conversation avec Alaster me revient en tête.

— Le Three-Piers Hotel... soufflée-je en avisant mon ordinateur portable sur le guéridon près de mon lit.

Alaster y a une suite. Il m'a dit de demander la suite A. Il ne pouvait pas le prévoir, mais sa suggestion tombe à pic. À croire qu'il se doutait que j'aurais besoin de me cacher de quelqu'un.

Après, il devait forcément se douter de quelque chose, étant donné le monde dans lequel il tient un rôle important...

Nos réalités sont tellement différentes, à quoi ai-je pensé en acceptant sa proposition? Je ne suis pas faite pour ce genre de vie. Mes journées sont trop mouvementées, et Je doute qu'il veuille bien me rendre ma liberté, que ce soit maintenant ou plus tard. Pour un homme comme lui, "jusqu'à ce que la mort nous sépare" semble être à prendre au pied de la lettre.

La mort.

L'ultimatum tourne en boucle dans mon esprit.

Ce n'est pas le temps de penser à ça. Pour le moment, je dois rejoindre Alaster.

Je secoue la tête quand un frisson me comprime l'épiderme et le relâche en même temps qu'une poussée d'adrénaline, et je me remets en mouvement. J'ai six jours pour trouver une solution, quelle qu'elle soit. Il n'y a pas de temps à perdre, pourtant je m'immobilise après avoir enfilé des sous-vêtements propres, surprise de vouloir aller me réfugier chez celui-là même que je dois supprimer pour survivre. Celui-là même qui, à peine quelques semaines auparavant, était mon plus gros problème. Celui qui m'a menacée, épiée... Si on m'avait dit ça il y a trois mois, j'aurais appelé l'hôpital psychiatrique pour faire interner mon interlocuteur.

Le fauve écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant