Éloi est un galant homme; il ne flanche pas une seule fois au moment de m'aider à monter dans sa rutilante voiture de sport couleur d'azur. Si l'intérieur est impeccable — soyons sérieux, je m'attendais à un sol jonché de déchets de fast food devant le siège passager —, il règne dans l'habitacle une odeur poignante de cigarette entremêlée des émanations du petit sapin accroché au rétroviseur dans une faible tentative pour l'enrayer.
Je remercie mon sauveur sans même plisser le nez et m'installe pendant qu'il contourne la voiture.
Après avoir transféré avec patience mes affaires et jeté négligemment sa mallette sur la banquette arrière, laquelle est aussi propre que le reste, Éloi se laisse tomber à mes côtés et met le contact. Le véhicule ne bouge toutefois pas une fois le moteur allumé, et je laisse échapper un petit rire. Je me sens stupide : je ne lui ai pas dit où je voulais qu'il m'emmène.
— Au Three-Piers Hotel, s'il te plaît, lui demandé-je doucement.
Il hausse un sourcil, visiblement intrigué, mais il acquiesce avec désinvolture. La voiture quitte finalement son stationnement dans un vrombissement exagéré qui me surprend, tout comme le mouvement de recul brusque que le médecin imprime à l'accélérateur ensuite. Quand je tourne un regard étonné vers mon voisin, celui-ci me fait un clin d'oeil amusé.
Je pince les lèvres pour réprimer un sourire du même genre.
Le trajet jusqu'au Three-Piers Hotel se passe dans le silence le plus inconfortable que je connaisse, et c'est de ma faute. Je vois bien, aux regards en coin que me lance Éloi pendant sa conduite, qu'il aimerait établir un dialogue quel qu'il soit, ou plutôt un monologue de ma part, mais j'ai peur. La personne que je viens de découvrir, que je gardais loin de mon quotidien pour de bonnes raisons, ne mérite pas de sombrer dans d'affreuses magouilles. Sans compter que s'il entre dans ma vie alors que j'en sors moi-même de façon brutale, il sera une personne de plus à pleurer mon départ.
Pas question.
Alors je détourne les yeux pour regarder la route défiler sans dire un mot, la gorge nouée, les yeux piquants. Mon escorte conduit vite, mais c'est le moindre de mes soucis. Je dirais même que j'apprécie la sensation d'accélération qui fait ronronner le moteur au moment de rejoindre l'autoroute. Je savoure le danger qu'il représente même s'il me semble tellement anodin à ce moment de ma vie.
Et puis Éloi conduit sa voiture de sport d'une main de maître.
Sans lâcher la route des yeux, il farfouille dans le guéridon entre les bancs, en extirpe une gomme à mâcher, qu'il enfourne avant de m'en présenter une également. Je refuse d'une unique secousse de la tête et reprends mon observation des panneaux de sécurité routière, des lignes au sol qui défilent si vite qu'elles me donnent le tournis.
Je me sens en sécurité avec un homme pour la première fois depuis... depuis quand? Même lorsqu'il manoeuvre la voiture en zigzaguant dans la circulation, je ne ressens pas l'angoisse aussi fortement que je le devrais.
Sauf peut-être à l'idée qu'une voiture de police commence à nous poursuivre. Et encore.
J'ai l'impression de devenir complètement folle, que ma notion de sécurité est en train de changer de façon draconienne depuis ma rencontre avec Alaster. Ça ne peut pas être sain... et pourtant, à mesure que nous nous rapprochons de ma destination, je sens les papillons dans mon estomac s'éveiller un à un.
J'ai hâte de le voir. Et pas juste pour lui passer un savon.
L'expression fait rapidement dévier mes pensées vers un terrain beaucoup moins désagréables, et je dois rectifier le tir avant d'oublier la raison principale de ma venue à l'hôtel. Je fais une liste mentale des éléments à l'ordre du jour.
VOUS LISEZ
Le fauve écarlate
RomantizmLyvie est une maman célibataire avec un emploi stable en tant que traductrice-interprète. Elle mène une vie paisible jusqu'au jour où elle se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Elle aurait pu mourir le jour de sa rencontre avec l'homme qui...