Je me réveille le lendemain matin avec un mal de tête carabiné, et la certitude que je dois emporter mon téléphone, au cas où. Le silence radio d'Alaster est inquiétant, tout comme l'absence de représailles à mon égard. J'aurais pensé qu'il se serait manifesté autrement que par ce message cryptique, mais non. Quand je le consulte pour savoir quelle heure il est, mon téléphone n'affiche aucun nouveau message.
Pas de nouvelles de Thomas non plus, et j'ai soudainement peur que l'empêchement dont il a parlé la veille n'ait pris la forme d'une séquestration par Monseigneur Alaster.
Je n'ose pas questionner le présumé coupable à ce sujet. Alaster voulait que je transmette un message à Thomas, pourtant, non? Alors pourquoi l'empêcherait-il de me rejoindre? Pour que je me plie à ses conditions? Mais il n'en a pas énoncé!
Quel casse-tête, cet homme!
Je me prépare à affronter la journée en commençant par un cachet d'ibuprofène pour mon mal de tête, puis je lance deux tranches de pain dans le petit four sur le comptoir. Pendant la cuisson, je pars m'habiller. J'ai rendez-vous avec Thomas avant son premier cours, qu'il donne à dix heures. Contrairement à mon premier voyage vers l'université, je ne compte pas prendre mille détours.
Je n'ai personne à semer, après tout.
J'arrive donc plus vite que prévu sur le campus, où la vie bat déjà son plein. Des cyclistes zigzaguent, des piétons traversent les rues là où ils peuvent, et des professeurs pressés foulent les trottoirs à grandes enjambées, téléphone à l'oreille et mallette de cuir en main. Je me retrouve à observer ce bouillon de culture à plusieurs reprises, songeuse, en remontant les rues jusqu'à notre point de rendez-vous. L'université a été l'une des meilleures périodes de ma vie, si on omet les longues nuits d'études et le stress lié à la remise des travaux. J'y ai notamment rencontré Jessica.
L'excitation de mon arrivée retombe quand je croise le banc où nous nous sommes parlées pour la première fois. Je reste plantée là, à fixer les lattes qui le composent. Les graffitis y sont légion, malgré les tentatives des autorités municipales pour les recouvrir. À l'époque, j'attendais que Philippe vienne me chercher en lisant chacun d'eux, à la recherche de nouveautés. Mon ex n'a jamais été du genre ponctuel, aussi j'avais vite fait le tour, et pourtant parfois j'arrivais à trouver quelques gribouillis informes inédits. Je ne restais jamais assise bien longtemps; il faut contourner le banc pour bien en apprécier l'art qui le recouvre.
Un jour Jessica m'observait de l'autre côté de la rue. Elle était difficile à rater, avec sa chevelure de feu et sa robe à pois. Pensant que je cherchais quelque chose, elle avait traversé la route pour me demander si j'avais besoin d'aide. Le contact s'était fait comme ça, aussi facilement. Par la suite nous nous sommes croisées ici et là sur le campus jusqu'à ce qu'elle m'écrive son numéro dans la main... avec un marqueur indélébile. Avec ses études en droit, elle n'avait pas beaucoup de temps libre, mais les heures que nous passions ensemble, quoique ténues, ont réussi à bâtir une relation solide.
Une relation que j'ai anéantie de mon propre chef en ne trouvant rien d'autre comme solution pour l'éloigner que de la blesser en raison des qualités mêmes qui m'avaient liée à elle : sa spontanéité, sa franchise et sa ténacité.
— C'est justement ta ténacité qui me faisait peur, murmuré-je, les larmes aux yeux.
Je savais que je n'arriverais pas à lui mentir, et j'avais peur qu'elle ne tente de m'aider.
— Ça va, Lyvie?
J'étais si plongée dans mes propres remords que je n'ai pas entendu Thomas se joindre à moi dans l'examen d'un banc à l'apparence banale. Mon collègue est vêtu d'un costume trois pièces sobre, comme à son habitude. Il est toujours bien mis. Même à l'université, ses chemises étaient toujours impeccables. Je renifle avec discrétion et m'essuie le coin des yeux.
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Le fauve écarlate
RomanceLyvie est une maman célibataire avec un emploi stable en tant que traductrice-interprète. Elle mène une vie paisible jusqu'au jour où elle se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Elle aurait pu mourir le jour de sa rencontre avec l'homme qui...