Chapitre 11 - Intrigué

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À toi dont j'ignore tout, y compris le prénom...

À toi qui rêvais de marquer une femme, et je cite "assez pour qu'elle ne m'oublie jamais, qu'elle me cherche sans me trouver, qu'elle rêve de moi la nuit et qu'elle imagine me voir le jour"...

À toi qui as embrassé une inconnue pour le plaisir de la torturer...

Tu ne liras probablement pas ces lignes, ou bien tu les survoleras en ne retenant que les mots clefs. Peu importe, je n'ai plus rien à perdre. J'aimerais croire que tu ne sais même pas qui je suis. Je t'imagine comme un être narcissique qui se plaît à torturer plus d'une femme à la fois. Ai-je tort? Mais tu ne dois pas avoir assez d'hommes de main pour les surveiller dans ce cas. Ou bien ai-je droit à un traitement privilégié? En quel honneur?

Tu aurais dû me tuer, ce jour-là. Je le sais, je ne suis pas folle.

Tu as dit que tu nous laissais vivre, ma famille et moi, et je cite "pour le moment".

Mais ce moment, il durera jusqu'à quand?

Combien de temps devrai-je être sur le pied de guerre? Quel sera ma dernière journée auprès de mes enfants? Presque deux mois se sont écoulés. Tu as eu ce que tu voulais, Inconnu. Je pense à toi matin et soir. En servant le repas aux enfants et en leur lisant une histoire. Je me demande pourquoi tu ne m'as pas tuée, et pourquoi, bon sang, pourquoi je veux te revoir. Tu sais que je pense à toi dès que je vois ton bras droit. Et je sais que tu m'as à l'oeil par son biais. Tu te délectes sûrement de mon désespoir.

Tu m'as marquée, et c'est pire que la mort, que d'ignorer si ce sera ma dernière journée, ou la première d'une longue lignée. Mais aujourd'hui, j'ai décidé que j'en avais assez.

Je t'en prie, épargne-moi.

Mes enfants seront chez leur père toute la semaine, mais tu le sais déjà, j'en suis certaine. Ma seule demande, c'est que tu me fasses disparaître proprement. Personne ne souhaite à ses enfants de retrouver leur mère sans vie dans une baignoire de sang ou pendue à un luminaire sous le couvert d'un suicide extraordinaire. Personne n'y croirait de toute façon.

Et si tu ne veux pas m'exécuter, alors dis-moi ce que tu attends de moi.

Je n'en peux plus.

Arrête de me torturer... achève-moi ou épargne-moi une bonne fois pour toutes.

Lyvie

Allongé sur un divan vieux comme le monde à l'assise défoncée, entouré de coussins qui embaument une odeur fraîche et féminine, je relis pour la énième fois cette requête qui m'a été transmise cet après-midi. Je croyais l'art de la correspondance perdu, depuis le temps, à l'ère où l'électronique est prévalent. Je suis heureux de constater que je me suis trompé. La missive est écrite à l'encre, d'une main sûre et pratiquée. Les lettres, cursives, sont légèrement inclinées vers la gauche, mais les phrases sont droites, signe de l'application derrière leur formation, ce qui ajoute au caractère déjà personnel d'une correspondance manuscrite. La feuille blanche, autrefois pliée avec minutie en trois panneaux égaux pour se mouler à l'enveloppe, n'est plus qu'un bout de papier froissé que j'ai failli déchirer en l'ouvrant la dernière fois, il y a quelques minutes.

Je savais déjà que ma proie était une forte tête, mais je ne la croyais pas capable d'un tel sang-froid. Je souris, satisfait du résultat de ma traque, en parcourant de nouveau les parties qu'elle a pris soin de souligner avec autant d'aplomb que si elle avait employé une règle.

À toi qui as embrassé une inconnue pour le plaisir de la torturer...

Tu aurais dû me tuer, ce jour-là.

Tu as eu ce que tu voulais, Inconnu. Je pense à toi matin et soir.

Je veux te revoir

Je t'en prie, dis-moi ce que tu attends de moi.

Lyvie

— Charmante Lyvie... si tu savais.

Des phares éclairent la rue tranquille, et je me redresse lentement. Un frisson me lèche l'échine. La fraîcheur ambiante me colle à la peau maintenant que j'ai quitté la chaleur imprégnée par mon propre corps dans les coussins moelleux. Je franchis la maison presque inerte sur la pointe des pieds, veillant à ne pas marcher sur un carreau de la cuisine en particulier, ni devant certains endroits de la parqueterie du couloir devant le chauffe-eau. J'ai arpenté ce plancher si souvent dans les dernières années que j'en connais les moindres défauts désormais. Je me fonds dans les ombres mieux qu'un fantôme et me fais plus discret qu'un félin en chasse.

Il le faut bien, puisque ma proie a l'oreille assez fine pour percevoir le moindre souffle déplacé dans la pièce d'à côté. La nervosité nocturne d'une mère n'a d'égal que celle du criminel commettant son larcin. C'est ce qui rend la traque aussi intéressante. Le défi en vaut la peine.

Ma proie s'est finalement assoupie, lovée contre un oreiller de la taille d'un homme — un très petit homme. J'envie ce bougre rembourré contre lequel elle assouvit ses envies primales depuis peu. Écartant le rideau devant sa fenêtre, je l'observe dormir une, deux, peut-être trois minutes, laissant les rayons lunaires éclairer la peau dévoilée par l'édredon qu'elle a repoussé après avoir sombré dans l'inconscience.

L'envie est forte de m'approcher jusqu'à pouvoir caresser la courbe de son épaule, glisser mes doigts le long de ses côtes et de ses flans ou encore ma langue entre ses cuisses... je ne suis pas à un délit près! Qu'est-ce qu'une accusation d'attouchements sexuels en comparaison de tous les méfaits dont je me suis déjà rendu coupable?

Quelques mois de prison, tout au plus.

Sauf que j'attends bien davantage de ma proie qu'un don de sa chair. Beaucoup plus.

— J'ai trop d'attentes pour pouvoir les résumer en quelques lignes.

En attendant, je me console avec les délicieux biscuits qu'elle a concocté, cette fois, rien que pour moi. Puisqu'il serait malvenu d'être grossier face à une si belle attention, je prends deux délices sucrés, que je dégusterai en imaginant notre prochaine rencontre, laquelle sera, à n'en pas douter, très intéressante...

***

Un chapitre surprise, car il n'y avait qu'un seul point de vue dans la première version. Qu'en dites-vous?

À bientôt pour la suite,

Fée Obscure

Le fauve écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant