Chapitre 18 - Exhibée

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Je me laisse guider par Alaster jusqu'au lieu de notre rendez-vous, à savoir l'une des salle de réunion du Three-Piers Hotel. Fusionnée à son corps solide par le bras passé sous le sien et la main qu'il tient avec délicatesse, je ne suis qu'un accessoire qu'il exhibe dès son arrivée. Sitôt que la porte est poussée, des rires, des éclats de voix et des chocs de verres nous parviennent. Notre entrée est cependant remarquée.

Tous les yeux se détournent des festivités pour converger sur nous. Cinq hommes et six femmes sont réunis autour d'une immense table dont ils ne couvrent que la moitié. Alaster ne s'immobilise pas; il poursuit sa route jusqu'à un siège vide, entre un vieille homme à l'air trop charmant pour n'être nul autre que le patron et un autre dans la trentaine qui porte un complet du même style qu'Al, mais dans une teinte de jaune, plus près du doré. Moutarde distinguée.

— Ah, Al. Nous nous apprêtions à lancer un avis de recherche, déclare le quinquagénaire au sourire affable.

— Ce n'est pas dans tes habitudes d'être en retard, mais maintenant je comprends mieux...

L'homme au costume jaune me balaie de son regard perçant et esquisse un sourire qui me fait frissonner. Un psychopathe qui ne prend pas la peine de le cacher. Je ne sais pas si je dois être soulagée devant l'absence d'apparence de gentilhomme projetée, ou effrayée par le niveau de psychopathie qu'il doit réellement cacher.

— Veuillez m'excuser, messieurs, j'ai eu... un imprévu, répond Alaster en s'asseyant.

Il me remorque jusqu'à ses genoux, où je m'assieds le plus élégamment possible, en croisant les jambes sous les yeux appréciateurs de son comparse doré. Ce dernier ne perd pas une miette du spectacle, en dépit du fait qu'il est lui-même accessoirisé ce soir. La femme qui l'accompagne me zieute de façon hautaine. C'est un canon de beauté très bien maquillé, elle n'a rien à m'envier, sauf peut-être mon « propriétaire », plus séduisant que le sien. Appuyée sur les épaules de l'homme au costume scintillant, elle sert d'écharpe humaine de luxe.

Je remarque que presque tous les hommes autour de la table portent un tel accessoire. Une seule femme n'est pas accompagnée. D'origine afro-américaine, elle est une beauté brute mise en valeur par son maquillage discret et son regard intelligeant. Elle est vêtue sobrement, d'un tailleur pantalon gris, mais ses traits faciaux découpés à la serpe et ses lèvres charnues sont éblouissants, comme ses cheveux raidis et l'énorme frange qui donne l'impression qu'elle y cache ses ambitions. Elle a l'oeil vif, et le sourire pincé. Elle est ici pour affaires, et rien d'autre.

J'imagine que si elle était accompagnée d'un homme objet, elle perdrait toute crédibilité.

— Tu les choisis moins jolies d'habitude... aurais-tu enfin été chercher ta compagnie à la même place que moi?

L'homme au costume doré m'inspecte avec l'œil de l'acheteur, et je frémis. Juste avant d'entrer, Alaster m'a prévenue que je serais objectifiée de mille et une façons, mais la réalité est stupéfiante.

— Je n'oserais pas, Fort', répond Alaster. J'aurais peur de passer derrière toi.

Je ne veux pas connaître le fondement de ce commentaire, mais à en juger par le ton employé, ce n'est pas un compliment. Ledit Fort' redresse pourtant l'échine, fier comme un paon face à ce qui pourrait passer pour une flatterie sur ses prouesses sexuelles. Pour ma part, je retiens une moue horrifiée de justesse en tournant les yeux vers Al, qui m'attire pour un baiser en appuyant une main sur mon postérieur. Fort' ne nous quitte pas des yeux; il en profite même pour me donner une tape sur la fesse qu'Al semble exposer volontairement aux regards. Je sens l'air frais où sa main n'est pas posée.

— Elle a un super cul en tout cas. Je me le ferais bien quand tu auras fini avec... je n'ai aucun problème à passer derrière toi, Al, tu le sais bien.

Le fauve écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant