Chapitre 38 - Glacée

2.6K 241 137
                                    

Là-bas, il fait froid.

Malgré les nombreuses couches de vêtements que je porte, je suis gelée. C'est un frisson qui me survolte à l'état d'éveil.

Là-bas, il fait noir comme dans un four. Mais au moins dans le four, il ferait chaud. Je ne vois rien, pourtant je sens que ma tête n'est pas recouverte d'une cagoule ou d'un bandeau quelconque. L'air frais me hérisse les cheveux et me caresse les oreilles.

Là-bas, il flotte dans l'air une odeur d'aseptisé. Je reconnais les effluves douceâtres qui me brûlent presque les narines : l'eau de Javel. Je respire par petites bouffées, à la fois parce que ce fumet post-nettoyage me dégoûte et aussi parce que je sens la panique monter. Se réveiller dans un endroit qui pue l'eau de Javel n'augure rien de bon. En plus de la noirceur ambiante qui m'engloutit complètement, mes bras refusent de bouger; ils sont attachés... ou plutôt fusionnés au meuble qui a reçu mon corps inconscient plus tôt. Mes fesses sont endolories; je suis stationnée là depuis un moment.

Là-bas, il n'y a que le bruit de ma respiration erratique. Tout est calme. Trop calme. Je n'entends pas même de sons me parvenant de l'extérieur. Il pourrait tout aussi bien ne rien y avoir au-delà de ces murs, je n'aurais aucun mal à le croire. Pourtant il doit bien y avoir une porte, et donc une sortie... non?

Sinon comment suis-je arrivée ici?

J'ai mal au cou, la tête me tourne, j'ai soif. Je passe une langue pâteuse sur mes lèvres en tentant de me souvenir de ce qui s'est passé. Je me rappelle avoir rencontré Maximilien... puis m'être débattue pour garder connaissance pendant qu'il me retenait contre son corps de golem.

Le salopard a dû utiliser du chloroforme ou un truc de ce genre...

Et dire qu'à peine quelques heures plus tôt, je le remerciais intérieurement de m'avoir aidée! La panique cède à la colère, et je me débats contre mes entraves, tente de me relever comme si je pouvais lui en coller une.

— Je mettrai du laxatif dans tes biscuits! feulé-je à l'intention de la victime de mon courroux.

Je ne réussis pas même à faire grincer la chaise sur le plancher, ce qui ajoute à ma frustration. Mes jambes aussi sont immobilisées, mais je sens à peine les entraves, moulées à mon corps comme une seconde peau. La pièce doit être presque vide, car mes paroles, virulentes, me reviennent dans un écho.

Je répète ma tentative de libération... au moins pour éviter de m'asphyxier dans ma hargne.

— J'espère que tu m'entends, sale crétin! Tu ne perds rien pour attendre!

Ma voix se heurte à des murs invisibles, me revient en plein visage emplie d'un désespoir aux notes d'impuissance. Un haut-le-coeur me terrasse presque! Je ferme les yeux en respirant par saccades pour faire refluer la bile qui remonte le long de mon oesophage.

Pourquoi suis-je ici? Pourquoi m'a-t-on attachée? Qu'est-ce qui va m'arriver? Alaster ne m'aurait pas envoyée me faire tuer, non? Pas après ce que nous avons vécu dans la chambre au chiffre magique... pas vrai? J'expire, la poitrine comprimée par l'anxiété. Je suis intimement convaincue que malgré sa dangerosité et son métier particulier, il ne se serait pas embarrassé d'une balafre inutile. Je dois donc lui faire confiance. Si je suis là, c'est pour une raison. Forcément. Pas vrai?

Je déglutis.

Et j'attends. J'attends qu'il se passe quelque chose ou que quelqu'un entre. J'attends. Encore et encore. Il ne se passe rien. Rien ne bouge, aucune porte ne s'ouvre. Je suis seule, engluée à une chaise inconfortable pendant ce qui me semble être des heures et des heures. Mes doigts sont gourds, le bout de mon nez semble avoir disparu, comme anesthésié, et des larmes commencent à s'échapper d'elles-mêmes de mes yeux sous l'action du froid. Éventuellement, je les ferme, car les garder ouverts ne sert à rien. Les sillons frais sur la peau de mes joues ajoutent à mon inconfort, ainsi que les manifestations de ma vessie qui se remplit sans égard pour ma situation précaire. Je tremble en silence. De peur, de froid, de colère et de frustration. De toutes les émotions qui me traversent l'esprit à tour de rôle.

Le fauve écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant