Le fauve écarlate

Chapitre 3 - Apaisée

Les semaines sans enfants passent la plupart du temps très vite, car j'en profite pour remplir mon agenda avec des rendez-vous variés. Par exemple, je planifie presque toutes mes séances d'interprétation qui ont lieu à Ottawa durant ces périodes, car elles demandent que je traverse la frontière interprovinciale. J'ai toujours eu peur de m'y rendre pendant ma semaine de garde, puis de n'être pas en mesure d'aller chercher Emmett et Emma en cas de besoin, alors j'y restreins mes sorties au minimum. J'ai donc eu quelques contrats d'interprétation pour un tribunal, j'ai aussi exécuté diverses traductions urgentes pour un nouveau client, un hôtel de la région, le Three-Piers Hotel, ce qui m'a occupée plus que de coutume.

Quant à Brian, nous ne nous sommes vus qu'une fois parce qu'il avait une grosse semaine lui aussi, mais notre tête-à-tête a été assez long pour que je lui soumette l'idée de rencontrer les enfants à leur retour chez moi. Aucune hésitation, un large sourire, il m'a même proposé de m'accompagner pour aller les chercher chez leur père. Il a été si prompt avec sa réponse positive que j'ai dû lui demander de répéter, éberluée.

— Avec plaisir, a-t-il ajouté.

Je ressens la nervosité inhérente à un premier rendez-vous depuis. Dans un sens, c'est ce que c'est : un premier rendez-vous entre lui et ma famille. J'ai envie que tout soit parfait, alors pour me faciliter la vie, j'ai opté pour un repas adoré par les enfants, à savoir des filets de saumon avec une salade et, pour dessert, une fournée de biscuits. Ceux-là, je les ai cuits hier, ou aujourd'hui, aux alentours de minuit, quand je me suis rendue compte que le sommeil ne viendrait pas.

Jessica se serait bien moquée de moi, si elle m'avait vue : la nuit, je cuisine rarement habillée. Elle me dirait que je rirai moins lorsque je me brûlerai à un endroit sensible sur la grille du four. Je ne lui avouerai jamais que je me suis déjà brûlé le petit renflement du ventre issu de mes grossesses sur la porte en ne l'ouvrant pas au complet, elle en serait bien malheureuse... c'est un endroit totalement insensible de mon anatomie en raison des césariennes!

Je n'apprendrai donc jamais. Et puis de toute façon, c'est ma maison, et donc mes règles. J'adore déambuler nue chez moi, c'est comme ça.

Hier soir, donc, pas de brûlure, mais une fournée de dix-huit biscuits très réussis.

Aujourd'hui, nous sommes dimanche, et j'ai demandé à Brian de me rejoindre à la maison vers quatorzes heures pour que nous passions quelques heures seuls avant cette rencontre importante. Depuis mon réveil, je me suis tenue occupée pour éviter de tout annuler. J'ai été prendre un café avec Jaëlle qui doit ensuite passer la semaine à préparer sa rentrée à l'université, fait rafraîchir ma coupe de cheveux, puis je suis allée faire des courses pour le repas. Lorsque je me gare enfin dans mon entrée, je constate que non seulement mon mystérieux voisin est chez lui — en témoigne sa berline bleu cobalt —, mais en plus il a de la visite!

J'en reste bouche bée.

La voiture inconnue est une Audi : quatre anneaux interreliés brillent avec sobriété contre la carrosserie d'un gris métallisé. Elle détonne dans le quartier, où la plupart des véhicules sont des camions, des fourgonnettes ou de minuscules boîtes à chaussures aux couleurs éclatantes. En sortant de mon véhicule utilitaire, je m'arrête pour l'observer un instant. Pas une seule égratignure, rutilante, on dirait qu'elle est neuve. D'instinct je la compare avec celle du voisin. Si la sienne est plus tape à l'oeil en raison du coloris, le modèle, lui, est plus courant, d'un type sport, avec un aileron à l'arrière. Une voiture de jeunes, comme dirait ma mère.

A contrario, le véhicule de luxe fait penser à ceux que conduisent la plupart des hommes en crise de la cinquantaine, après une carrière fructueuse. Ah, si ça se trouve, c'est le père du voisin! S'il est célibataire, ce pourrait être intéressant pour ma mère... s'il aime les femmes de caractère, évidemment.