Chapitre 9 - Désespérée

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Les jours défilent mais ne se ressemblent jamais plus. Je veille à ne jamais faire mes courses au même endroit; je dévie de mes trajectoires habituelles, et j'ai découvert un nouveau café intéressant, même s'il n'est pas aussi chaleureux que celui où je vais en général avec ma soeur Jaëlle. J'ai fait annuler la plupart de mes interprétations d'audience, même lorsque les enfants ne sont pas avec moi. J'avoue commencer à craindre de sortir.

Même depuis que j'ai la confirmation qu'un ou des inconnus s'infiltrent chez moi pour chaparder dans l'assiette à gourmandises. Je me sens plus en sécurité entre mes quatre murs que dans cette ville gigantesque où je suis obligée de regarder partout autour de moi pour garder un oeil sur mon harceleur. Ou plutôt guetteur, car c'est la seule chose pour laquelle il semble mandaté : me surveiller, ou donner l'impression de me surveiller.

Malgré mes tentatives pour le semer, il revient toujours, ne serait-ce que dans ma rue. J'ai pensé m'enfuir, lorsque j'ai constaté son petit manège. Mes valises ont été vite faites! Seulement... une fois sur le pas de la porte, j'ai avorté le projet pour la simple et bonne raison que, à moins de les emmener avec moi — et encore! — les enfants ne seraient pas plus en sécurité si je disparaissais. J'ai laissé tomber mes sacs en songeant que ma désertion pourrait aussi être perçue comme une façon de me soustraire à leur surveillance pour mieux les dénoncer.

J'ai remis tous mes effets personnels en place en me convainquant que je devais attendre encore un peu. Le bruit du tiroir se refermant m'a donné mal à la tête. Ou peut-être n'est-ce que le surplus de sucre ingéré, ou le manque de sommeil.

Je ne dors plus très bien. Et quand je fais de l'insomnie, je fais des biscuits. Les passages du chapardeur se font de plus en plus fréquents. Je sais que je devrais être effrayée par le fait de voir un inconnu entrer chez moi quand il le veut et aussi aisément... mais chaque fois que je constate qu'il n'est pas encore passé, je panique davantage. Je me demande alors si à son prochain cambriolage, il prendra ma vie pour accompagner son biscuit... mais non.

Le cycle recommence, encore et encore, jour après jour, nuit après nuit, avec les enfants ou juste Lyvie.

Deux semaines passent ainsi, et j'ai les nerfs à vifs, les cernes plus profonds que la tasse de café qui me sert chaque matin à compenser mes nuits trop courtes. Mon cache-cerne est aussi à bout que moi. Mes rideaux sont encore mon seul rempart contre les incursions dans ma vie privée, malgré le voleur de biscuits qui s'invite à son gré. J'ai débouté toutes les demandes de ma mère et de ma soeur qui voulaient organiser un souper, et je coche les jours du calendrier — dans ma tête seulement — jusqu'au jour où enfin, enfin!, je peux respirer.

Nous sommes jeudi, et je sors de chez moi pour la première fois depuis des jours. L'air frais de la fin de septembre me revigore mieux que les quatre tasses de café que j'ai ingurgitées pour m'occuper entre huit heures dix et neuf heures vingt. Je n'ai pas dormi du tout cette nuit. Trop nerveuse. J'avais peur que l'inconnu choisisse ce moment pour faire son retour théâtral, un biscuit au coin de la bouche, son couteau entre les doigts. Même avec la lumière allumée, je demeurais convaincue de voir des ombres bouger derrière les remparts.

Ayant trop peur de ne pas être assez alerte, j'ai exclus le vin d'emblée pour me calmer; je me suis tournée vers une méthode douce et naturelle : la masturbation. Il faut dire que près d'un mois s'est écoulé depuis mes derniers ébats... alors j'ai ressorti un vieil ami de mon garde-robe : Monsieur Oreiller. C'est un long coussin rectangulaire que je ne sors qu'en cas de besoin. Au départ je m'en servais pour combler l'espace dans mon lit. Après ma rupture avec Philippe, et donc après des années à le partager avec un autre être, il me semblait trop grand, trop vide. Puis une nuit je me suis réveillée en train de me languir contre cet être inanimé. Déjà passablement excitée, j'ai essayé, consciemment cette fois, de cheminer jusqu'à l'orgasme. Méthode éprouvée pour ensuite sombrer dans un sommeil profond, partiellement apaisée.

Le fauve écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant