Je fais absolument n'importe quoi depuis que j'ai franchi la porte de cette maison, la première fois, des semaines auparavant. Si j'ai réussi à me tempérer tant bien que mal entre nos échanges charnels, c'était grâce à la distance et au cadre où nous nous trouvions. Et grâce à la peur ou à la hargne qui a suivi nos rencontres et que je lui ai inspirées. Ou encore à l'impassibilité que j'affiche en permanence lorsque je suis "en fonction".
Le Pisteur est toujours en contrôle, c'est la moindre de ses qualités.
Cet après-midi cependant, je ne suis qu'un homme comme un autre, un père célibataire venu partager un repas d'anniversaire avec sa fille. Un homme incapable de museler ses pulsions lorsqu'il y a un peu de sucre à la clé. Un homme jaloux et possessif qui sait se faire comprendre en douceur mais fermeté... J'espère que ma déclaration aura eu l'effet escompté, d'ailleurs. J'avoue avoir poussé la note un peu pour abaisser sa garde avec mes mots, et le baiser, même s'il était délicieux, n'était pas prévu.
Pas prévu du tout.
Au départ, je voulais glisser son doigt dans ma bouche et en lécher jusqu'à la dernière molécule de sucre. Pour attiser son désir en délicatesse, pour attirer son regard de façon inattendue sur l'homme devant elle, celui-là même qu'elle a affirmé ne pas vouloir dans son lit... ni sur son carrelage. C'était supposé être une vengeance malicieuse et sournoise qui aurait desservi la suite de mes plans.
Puis elle a entrouvert les lèvres, et j'ai cessé de tout calculer. Je voulais la voir sortir sa langue, la goûter avec le glaçage, profiter de cet unique instant de vulnérabilité. Mon petit sucre glacé me donne le tournis... et une érection incroyablement douloureuse, car appuyée contre une barrière non négligeable : mon jeans.
Je ne compte pourtant pas la relâcher tout de suite, trop fasciné par le trouble que je lis sur son visage. L'envie de la prendre contre le comptoir m'effleure l'esprit. L'idée est charmante; je la conserve dans un coin de ma tête pour un moment moins... compliqué.
— Pardon?
Sa voix comporte un trémolo qui m'amuse et m'excite à la fois : elle est prise par surprise. Je ne peux pas lui en vouloir, je lui envoie des signaux contradictoires dès que je relâche ma vigilance. C'est-à-dire dès que je passe plus de dix minutes en sa compagnie.
Malgré tout, je préfère jouer sur sa corde sensible en laissant entendre qu'elle a mal interprété mes intentions depuis le début.
— Allons, Lyvie, je croyais que j'avais été clair...
Fidèle à elle-même, elle me repousse avec vigueur, se dépêtre de mon étreinte et s'affaire à son glaçage. J'adore quand elle se braque ainsi. C'est une qualité appréciable que de ne pas se laisser manipuler par un ton doux ou des paroles mielleuses.
— Non, Alaster, vous êtes très doué avec les mots, mais la clarté n'est pas l'une de vos qualités.
Un sourire se fraie un chemin sur mes lèvres encore enflées par notre baiser. Incapable de rester loin d'elle alors qu'elle me fait dos pour contenir son attirance envers moi, je m'approche. Je l'avoue, c'est beaucoup moins pour m'approprier son espace... que son esprit. Je veux qu'elle sente ma présence, mon regard braqué sur elle, toute mon attention. Je veux qu'elle sente la menace planer... son coeur tambouriner à cause de moi, grâce à moi.
L'homme a quitté le poste de Pisteur, mais les habitudes du Pisteur, elles, ne sont pas si dociles...
J'aime créer la fébrilité et le désarroi, surtout chez elle. Alors je me penche jusqu'à pouvoir humer l'odeur de son shampoing et lui souffle à l'oreille :
— Je vous ferai un dessin très clair de mes intentions lors de notre tête-à-tête, plus tard cette semaine...
— Alaster! s'écrie une voix de fillette dans mon dos.
Laissant ma proie s'imprégner de ma promesse, je me détourne pour accueillir les réprimandes que je sens venir dans ma direction avec le ton employé par cette fillette au caractère bien trempé.
— Je t'ai dit, continue-t-elle en allongeant indûment la voyelle, de ne pas embêter la maman d'Emmett! Et tu avais promis!
Parfois j'aimerais qu'Amélie me ressemble moins. Puis je repense à Jennifer et à sa faiblesse mentale, et je me félicite pour mes gènes dominants, vraisemblablement transmis en totalité. Ma fille deviendra une femme forte, que rien n'arrêtera jamais. Elle ferait un incroyable Pisteur, d'ailleurs.
Mais je préfèrerais qu'elle vise plus haut, comme son père.
— Mon petit sucre, je n'embête pas la maman d'Emmett, dis-je en ouvrant une armoire que je sais contenir les assiettes à dessert. N'est-ce pas?
J'ignore si c'est le fait que je sache où trouver le nécessaire qui vient de la tétaniser ou le choix qui s'offre à elle — à savoir dire la vérité ou mentir —, mais Lyvie s'est immobilisée d'un coup, glaçage en main.
— Non, Amélie, ne t'inquiète pas. Alaster est... sage comme une image...
La fillette aux couettes châtaines croise les bras, l'oeil avisé. Elle ne croit pas un traître mot de ce que vient d'affirmer Lyvie, et ce, même si elle n'a aucune idée de ce que je fais dans la vie. Elle voit en moi comme dans un livre ouvert parce qu'elle est identique... et qu'elle sait lire les signaux physiques.
Elle reconnaît la posture du prédateur.
Je l'ai bien éduquée. Peut-être un peu trop.
— Tu veux bien dire à Emmett et à Emma de revenir dans la cuisine, s'il te plaît, ma belle Amélie? demande Lyvie. C'est l'heure du gâteau.
À ma grande surprise, ma fille lâche l'affaire et hoche la tête avant de disparaître dans le couloir. Il faudra que je lui apprenne avec le temps de ne pas se laisser berner par les compliments, frauduleux ou pas... et à ne pas se laisser appâter par de délicieux gâteaux.
J'observe du coin de l'oeil ma propre gourmandise et réprime un sourire sardonique. Je devrais prêcher par l'exemple. Amélie n'est toujours qu'une fillette de six ans. Et moi, quelle est mon excuse?
J'ai été affamé par le temps... et je suis pressé également.
Moins que les enfants, qui sautillent jusqu'à la table alors que Lyvie allume la mèche de la sixième bougie. Tout le monde s'assoit à table, et je sens le regard de Lyvie peser sur moi lorsque je me joins aux chants d'anniversaire dirigés vers son fils. Je feins de l'ignorer, mais l'attention qu'elle déverse sur moi est grisant.
Comme quoi même les erreurs peuvent servir, parfois.
Je suis en train de savourer la dernière bouchée de ma part de gâteau quand mon téléphone s'emballe dans la poche de mon pantalon.
— Si vous voulez bien m'excuser, c'est un appel important.
Seuls les yeux de Lyvie captent ma sortie de la pièce, les enfants étant trop concentrés sur l'apport en sucre dans leur assiette. Je longe le corridor jusqu'à la chambre principale, où je referme la porte avant de décrocher.
— Qu'y a-t-il? J'avais demandé de ne me déranger sous aucun prétexte.
— Désolé, mais on a un problème avec Thomas, déclare une voix écorchée dans l'appareil.
Par réflexe, je regarde par la fenêtre de la chambre de Lyvie, et mon regard croise celui du voisin de Lyvie, un ami de longue date. Fumant sa cigarette, Éloi a l'air sombre, autant que le personnage qui termine dans mon oreille :
— Le Chuchoteur va devoir devancer son rendez-vous, le sien et celui de Lyvie.
***
Oh ho! Mais que se passe-t-il?!
Ce chapitre n'existait pas dans la première version, mais il couvre une partie que j'avais oublié de montrer en faisant une ellipse, à savoir ce qui se passe "après" le baiser. La réaction de Lyvie.
Si elle tombe sous ses charmes, il semblerait que ce soit de moins en moins facile pour Monseigneur Alaster!
Dites-moi ce que vous en pensez.
Bises,
Fée Obscure
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Le fauve écarlate
RomantizmLyvie est une maman célibataire avec un emploi stable en tant que traductrice-interprète. Elle mène une vie paisible jusqu'au jour où elle se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Elle aurait pu mourir le jour de sa rencontre avec l'homme qui...