3. Pourquoi moi ?

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Elle, il y a 12 ans

L'infirmière de mon collège ne cesse de me regarder de ses grands yeux pleins de compassion, comme si ce que je venais de lui confier lui était arrivé à elle, comme si elle pouvait tout arranger, comme si elle pouvait me protéger.

A ses côtés, mon CPE tourne en rond en ne cessant de regarder sa montre. Dire qu'il est mal à l'aise serait un euphémisme. Il transpire à grandes gouttes et me jette des coups d'œil tel un chien apeuré toutes les 30 secondes.

Il regarde sa montre, pour la énième fois. Personne ne parle. Personne ne sait quoi dire. A vrai dire, il n'y a pas grand chose de plus à dire.

Depuis que j'ai lâché ma bombe dans le bureau de l'infirmière, je me sens dépassée. Une multitude de phrases et de mots que je ne comprends pas ont été dit.

Services sociaux, dépôt de plainte, protection.

On m'a demandé si j'avais tout compris et j'ai acquiescé, trop sonnée pour oser prétendre le contraire.

Non je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? Où est ma mère ? Pourquoi n'est-elle pas encore arrivée ?

L'infirmière me sourit gentiment. Son sourire est ce qu'il y a de plus réconfortant dans cette pièce étouffante. J'ai envie de sortir, de partir mais mes membres sont figés.

Quelqu'un frappe à la porte et la proviseure entre dans la pièce minuscule accompagnée d'une autre femme.

Nous sommes trop nombreux pour cet espace réduit.

- Alex, je te présente Mme Campion, qui est éducatrice.

Je ne dis rien et regarde la nouvelle venue. Elle s'avance vers moi, me tend sa main que je serre machinalement.

- Alex, je suis Françoise. Je suis éducatrice à l'Aide Sociale à l'Enfance. Tu sais de quoi il s'agit ?

Je secoue la tête, incapable de parler.

- Nous sommes un service de protection de l'enfance. Notre mission est de protéger les mineurs en danger ou en risque de l'être. Ton collège nous a appelés suite à ce que tu as dit à ton infirmière.

Je ne dis rien. Je me demande pourquoi c'est elle qui est là et pas ma mère.

- Étant donné la situation, le procureur a ordonné ton placement en urgence pour les prochains jours. Je vais t'emmener dans un foyer de l'enfance où tu vas rester en attendant.

La gorge sèche, je trouve enfin le courage et la force de parler.

- Pourquoi est-ce que je ne retourne pas chez moi ?

Autour de moi, des respirations se bloquent. Les professionnels de mon collège semblent mal à l'aise, détournent le regard et semblent attendre que quelqu'un prenne la parole pour répondre à ma question. Seule Françoise me regarde sereinement et semble maîtriser la situation.

- Chez toi, il y a ton père. Et tu ne peux pas retourner vivre avec lui.

- Alors pourquoi est-ce que ce n'est pas lui qui s'en va ? Pourquoi ma mère n'est-elle pas là ? Vous l'avez appelée ?

- Oui.

Elle ne répond qu'à ma dernière question et alors je comprends. Elle sait, mais elle ne fait rien. Encore une fois. Comme d'habitude.

J'ai envie de pleurer, de m'effondrer, mais je me retiens. Je n'ai pas envie de leur montrer une quelconque faiblesse. Alors, comme je sais si bien le faire, je ravale mes émotions, relève la tête en fixant mon regard sur Françoise et lui demande :

Se libérer de son passé (Terminé) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant