15. Comme on se retrouve

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Lui

Le lendemain de ma soirée avec Julien, je ne reprends la route vers chez moi qu'en fin de matinée. La soirée s'est éternisée et je me sentais ensuite trop éreinté pour reprendre le volant jusqu'à la capitale.

Prudent, comme toujours, j'ai préféré squatter la chambre d'ami et repartir après une bonne nuit de sommeil.

J'ai quitté les lieux au saut du lit, sur la pointe des pieds, de peur de réveiller mon ami qui dormait encore comme un loir. Dans ma précipitation, je me maudis d'avoir pris le temps de me brosser les dents mais pas d'avaler ne serait-ce qu'un verre de jus. Ma bouche est sèche et mon ventre qui crie famine m'enjoint de le nourrir. Par chance, l'aperçu de mon immeuble, au coin de la rue, me soulage temporairement comme une délicate promesse de remplir mon estomac très prochainement.

C'était sans compter sur l'enfoiré qui décide de me frôler d'un peu trop près, en bifurquant soudainement, entraînant irrémédiablement des dégâts sur mon rétroviseur qui se retrouve pendant tel un pantin désarticulé. Je jure et entre dans mon parking en maudissant l'abruti qui ne sait pas regarder ses angles morts. Je sors de la voiture précipitamment, claque ma portière un peu trop fort et contemple les dégâts.

Putain.

Je fulmine, énervé et ressens l'envie d'achever le travail en balançant un coup de pied dans le rétroviseur ballant.

Je soupire en mettant mes mains dans mes poches et relativise en redescendant rapidement en pression. Ce n'est qu'un rétroviseur, facilement remplaçable. Pas de conséquence dramatique. C'est le principal.

- Intéressant.

Une voix d'homme me tire de mes pensées et je me retourne vers son origine.

Je me retrouve face à un mec d'à peu près mon âge, un casque de moto à la main et dont les yeux bleus me sondent avec une lueur d'intérêt dans le regard.

- Quoi donc ? Demandé-je.

- Ta réaction. Tu avais l'air tellement en rogne que j'ai cru que t'allais arracher ton rétro de tes mains. Et pouf ! Une seconde plus tard, tu retrouves ton calme. C'est intéressant.

Je hausse les épaules, surpris par son commentaire.

- C'est ce que tu aurais fait toi ? Arracher le rétroviseur ?

- Probablement, reconnaît-il.

- Ce n'est que du matériel. Ça fait chier, mais y a pas mort d'hommes.

Le type me contemple et passe une main sur son crâne rasé, embêté. Par quoi, je ne saurais le dire. Peut-être trouve-t-il ma réaction inhabituelle ou pas assez virile. Peut-être considère-t-il que j'aurais dû m'emporter pour extérioriser ma colère. Mais ce n'est pas moi. Ça ne l'a jamais été et ça ne le sera probablement jamais.

- Tu as ce qu'il faut ?

Je le questionne du regard et il tend un doigt vers les vestiges de mon rétroviseur.

- Pour le recoller, précise-t-il.

- Non.

Il se retourne sans un mot, se dirige vers sa moto et me surprend en sortant du coffre de sa bécane un rouleau de scotch épais.

Il s'approche de ma voiture et, toujours en silence, entreprend de refixer mon rétroviseur.

Au bout de quelques minutes, le travail est achevé et je suis heureux de constater que je vais pouvoir rouler sans encombre grâce à son intervention.

Je m'apprête à le remercier quand il ouvre mon capot, sans un mot, et qu'il contemple l'intérieur.

Penché sur la voiture, il est toujours silencieux et en pleine réflexion. Cela pourrait être flippant, ce silence assourdissant, mais étrangement, ça ne l'est pas.

Se libérer de son passé (Terminé) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant