1. Entretien avec une cinglée

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New York, 2019.

La grande pomme comme on l'appelle. Ironique, car mon histoire commence bien avec une putain de pomme. Une vraie. Plutôt grande, d'un rouge vif à souhait, dure par endroits mais tellement tendre sur d'autres quand on sait où la croquer. Et son goût... Acide, sucrée, douce, qui vous coule dans la bouche comme un nectar dont on ne peut plus se passer une fois qu'on y a goûté. Juteuse. Parce qu'on en veut encore. Et encore. Pour l'éternité.

Je divague ? C'est ce que j'aurais pensé aussi, je vous le cache pas, si quelqu'un venait me déballer ça. Honnêtement, à votre place, je n'y aurais même pas fait attention. Mais moi, je souffre d'une petite altération particulière. Un trouble de la personnalité qui me rapproche de ce que l'on appelle la sociopathie. À cause de ça, je suis incapable de ressentir les émotions. Enfin, incapable. C'est le diagnostic qu'en font les médecins. Moi je m'en fous.

Parce que bon, je suis pas allée consulter de mon propre chef. Enfin si d'une certaine manière, puisque c'est mon chef qui m'a « invitée » à le faire : Ronald Carlsen de son nom, Ronnie pour les intimes dont je ne fais pas partie, chef du département de police du 8ème district où je travaille. C'est lui qui m'a forcée à subir une évaluation psychologique pour « la poursuite de gestion d'une situation traumatique. ».

Ah, une flic. Inspecteur, si ça vous dérange pas. Je ne me suis pas cassée le cul pendant six années pour qu'on m'imagine en train d'aider des mioches à traverser la rue avec pour seule arme un petit panneau signalétique jaune fluo, merci. Donc Carlsen m'a forcée à suivre des séances de soutien psychologique suite au décès de mon partenaire, Gary Jordan. Un bon gars. Non sérieusement, il était cool. Un mec efficace, sérieux dans son boulot, habile à l'arme de poing, plutôt beau gosse en plus. Des qualités que j'admire grandement chez l'être humain. Quand je dis que j'admire ce genre de choses, comprenez par là que ça peut rapidement m'amener à faire évoluer la relation vers autre chose si j'en ai envie. Ce sont les seuls éléments qui entrent en ligne de compte et l'autre n'a pas son mot à dire. De toutes façons, on ne me dit jamais non.

Est-ce que la relation a été autre avec Jordan ? Peut-être. Je vous le raconterai avec une bonne bière (pas blonde parce que, sincèrement, ça n'a pas de goût). Ce que je peux vous dire sans alcool par contre, c'est que c'était quelqu'un de bien. Un type doué. Deux ou trois années de plus et il aurait sûrement grimpé les échelons, en tout cas plus rapidement que moi, c'est certain. Son ascension a dû déplaire aux mauvaises personnes. Et comme il n'était pas assez prudent, voilà. Le connaissant, il a sûrement dû fourrer son nez là où il fallait pas. Et fatalement quand sa couverture a sauté, sa tête n'a pas tardé à suivre. Je veux dire, littéralement. La voiture piégée, ça ne pardonne pas, difficile d'en ressortir avec toute sa tête. C'est ce qui arrive quand on enquête sur la pègre locale et qu'on n'a pas les bons alliés ni les informations qu'il faut.

Quoi qu'il en soit, tout le monde l'appréciait dans notre division. Alors quand il est mort, il y a eu la totale : les condoléances, les fleurs, les paniers-repas... Sauf pour moi. J'étais sa partenaire c'est vrai, mais... Vous vous souvenez de mon petit problème, ce petit rouage qui tourne différemment dans mon esprit ? J'en parle jamais. Personne ne le sait. Enfin, à part ceux qui ont accès à mon dossier. Ce truc, c'est pas un problème pour moi. Pour les autres par contre... Disons que les signaux n'ont pas forcément été envoyés là où il fallait, comme il le fallait. Il était midi douze lorsqu'un coup de téléphone de Carlsen m'a annoncé sa mort. Je me souviens de l'heure parce que je suis comme ça, j'observe beaucoup et je retiens énormément de choses, des détails la plupart du temps. Mais ça tombe bien pour un inspecteur de police non ?

Bref. J'ai raccroché, et j'ai repris le dossier sur lequel je travaillais déjà à l'époque, des cas de disparitions et de meurtres. Un tueur en série a priori, timbré comme tant d'autres, qui a pour habitude de laisser le numéro de carte d'identité de ses victimes sur la scène de son méfait. Parfois sur la victime elle-même. Quelle utilité, puisqu'on vérifie  toujours l'identité de la victime par le biais d'analyses médicales ? L'autopsie nous la confirme toujours. Mais bon.

Undying #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant