2. Conversation nocturne

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Je refermai la porte de mon appartement, un sobre petit deux-pièces sur Bower Street qui aurait pu avoir l'air majestueux si la lumière du jour pouvait y pénétrer de temps en temps. Pas un rayon de lumière n'y passait. Entre les piles de vêtements éparpillés, les cartons de pizza et les cartons tout court que je n'avais jamais pris la peine de déballer depuis mon emménagement, quatre ans ans auparavant, impossible pour lui de paraître sous ses meilleurs atours. Les aboiements si chers à mes oreilles m'accueillirent dès que je passai le pas de la porte.

— Boots ! m'exclamai-je tandis que mon chien sautillait joyeusement autour de moi.

C'était un jeune labrador très vif et particulièrement intelligent. Ma petite fierté personnelle. Je me targuais souvent de posséder le chien le plus doué de la ville. Putain, si je m'écoutais vraiment, le chien le plus intelligent du monde ! Je lui caressai vigoureusement l'encolure.

— Bon chien, lâchai-je tandis qu'il s'apprêtait à me lécher le visage.

Je m'écartai avant qu'il ne puisse s'épancher sur ma joue et déposai mes clés sur le comptoir de la cuisine. La vaisselle sale m'accueillit à son tour, mais je fis comme la veille au soir et celle du jour d'avant : je l'ignorai.

Le sac à dos que je traînais chaque jour au commissariat atterrit comme une bûche sur le canapé lorsque je m'en débarassai. Je fis comme lui, m'effondrant à mon tour sur le canapè. D'un habile mouvement du pied, j'attrapai la télécommande et allumai la télévision. Les nouvelles du jour. Crise financière, prix du baril, attentats... Une soirée normale pour une journée normale.

Pour ponctuer tout ça, j'allais certainement commander un plat chez le traiteur asiatique du coin. À coup sûr, ce sempiternel plat de nouilles sautées par flemme de choisir autre chose. Pourquoi faire ? Il s'agissait juste de satisfaire un besoin immédiat. Et tout m'allait très bien comme ça. Mais pour l'obtenir, encore fallait-il quitter l'antre d'inactivité intense que constituait mon canapé. Au prix d'un immense effort, je me redressai et pris la direction de ma chambre : me changer, une bonne douche, commander et attendre tout en travaillant sur l'affaire qui occupait toutes mes pensées depuis quelques temps.

Le Saint.

Je pris finalement la direction de ma salle de bains. Je me déshabillai en chemin, sans prendre la peine de ramasser les vêtements que je laissais tomber derrière moi. L'eau jaillit, froide et glacée, mais je m'en fichais. Dans ces moments-là, seule l'efficacité primait pour moi. Tout le reste, secondaire. Quelques instants plus tard, propre et savonnée des pieds à la tête, j'étais assise à la table de la cuisine, penchée sur le dernier cas que Carlsen avait eu la gentillesse de me refourguer : le Saint s'en était pris à une étudiante du campus Oxley. D'une main, je fis défiler les pages du dossier que j'avais ramené du commissariat, buvant par moments une petite gorgée de café noir et brûlant de l'autre. L'ampoule fichée au plafond éclairait plus fortement la partie droite du dossier, donnant aux photos un aspect encore plus lugubre.

Kelly Tanner, 20 ans, étudiante en journalisme et major de sa promotion. Comme toutes les autres victimes du Saint, elle avait l'air paisiblement endormie sur chacune des photos. Sa colocataire l'avait retrouvée deux jours auparavant, couchée sur son lit, un bouquet d'azalées dans les mains et, bien sûr, l'habituelle carte d'excuse posée juste à côté de son oreiller. La psychopathe s'était octroyée le droit de replacer les mèches de ses cheveux bruns derrière ses oreilles, une habitude que la victime n'avait pas car, sur les photos souvenirs qu'avaient transmis ses amis à la police, Kelly Tanner ne s'était jamais coiffée ainsi. Elle essaie de reproduire le souvenir de quelqu'un d'autre, peut-être ? pensai-je en buvant une gorgée de café. Mon téléphone portable vibra sur le comptoir. Je haussai légèrement la tête afin de lire l'aperçu : un nouveau message de Parker.

Undying #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant