15. Yeux-d'or

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Je soufflai sur le gobelet en plastique. Le récipient était aussi chaud que le liquide noir qu'il contenait. À présent, l'odeur du café, tout comme celle des sandwichs de la cafétéria, ou celle des bonbons à la menthe que Parson cachait dans son tiroir de gauche, sans oublier l'haleine chargée de whiskey du sergent Donovan, me parvenaient plus fort que jamais. Il fallait que je m'habitue. D'un léger coup de pied sur le sol, je fis tournoyer ma chaise de bureau pour faire face à l'écran de mon ordinateur.

Kelly Tanner.

Parker m'avait bombardée d'éléments dès mon retour au bureau : rapport d'autopsie qui confirmait la présence de Pentobarbital dans le sang de la victime, audition de témoins dont l'un devait encore être interrogé dans la matinée et plusieurs pistes potentielles. Pour l'instant, Parker pensait qu'il s'agissait de l'œuvre d'un malade mental. La petite carte ? Expression de regret pour avoir commis l'irréparable. Le numéro de carte d'identité ? Simple délire fétichiste. Les azalées ? Un romantique, peut-être.

Je songeai à celles que l'inconnu du bar m'avait laissées la veille. Je me passai la main dans les cheveux. Quel rapport entre les deux ? Les fleurs étaient l'œuvre du Saint, et il s'agissait d'un vampire, un Essentiel. Rain me l'avait confirmé, nous en avions débattu sur tout le chemin du retour, ainsi qu'une toute petite partie de la nuit lorsqu'elle était revenue de son excursion, car la soirée avait été consacrée à une activité d'un autre ordre.

Évidemment, Rain était restée évasive sur la raison de son absence. Certainement une mission pour les Véniels, mais je penchais plus pour la recherche du livre de Chase qui avait disparu à notre retour. Nous avions retourné tout l'appartement : impossible de mettre la main dessus. Quelqu'un l'avait pris. Mais qui ? Piers et Chase n'avaient pas accès à mon appartement. Quant à l'inconnu aux yeux dorés, il n'était pas un vampire. À son souvenir, j'avalai péniblement ma salive. Chaque fois que j'essayais de m'adapter, un nouvel élément venait bousculer l'équilibre précaire que je parvenais à rétablir.

J'étais comme lui.

La vie m'apparaissait désormais comme étant totalement déstructurée. J'entendais des choses que je n'étais pas supposée entendre, comme l'interrogatoire musclé que Parson menait en ce moment même avec un faussaire, quatre salles plus loin. Ou l'annonce terrible que venait de recevoir une famille de trois personnes, dont la mère avait été sauvagement assassinée suite à un deal de drogue ayant mal tourné. Si je forçais davantage, je pouvais même entendre la conversation érotique que tenait la réceptionniste de l'accueil avec son correspondant suédois.

Je m'essuyai promptement le nez à l'aide d'un mouchoir qui se tacha rapidement de sang. Voilà. Je saignais du nez chaque fois que je forçais un peu trop sur mes sens. Je ressentais déjà moins ce problème avec l'odorat. De mes cinq sens, c'était lui qui semblait s'être le plus développé. À mon grand désarroi. J'étais toute aussi réceptive à l'after-shave puissant de Carlsen qu'à celui moins coquet des toilettes du premier étage.

Je fixai mon attention sur l'écran. D'après les derniers éléments de l'enquête, aucun témoin n'avait remarqué d'attitude suspecte chez Kelly Tanner. Personne ne semblait lui en vouloir non plus. En croisant son profil avec celui des autres victimes du Saint, aucun point commun ne ressortait. Mais alors, pourquoi elle ? Comment le Saint choisissait-il ses victimes ? Le mot, le numéro de carte d'identité, les azalées... Rien ne faisait sens.

Je me levai, abandonnant la moitié de mon café sur le bureau, pour gagner la salle d'interrogatoire numéro six. Parker m'y attendait pour récupérer la déclaration du dernier témoin de l'affaire Tanner. Je souris en passant devant l'ascenseur. J'aurais pu l'emprunter pour me rendre au bureau du cinquième étage si je ne le savais pas vide de son occupant. Olivia Keen n'était pas encore revenue de son congé.

Undying #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant