Présentation de l'affaire

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L'ARCHET virevoltait lentement sur les cordes du Stradivarius en produisant une douce mélodie que je ne connaissais pas. J'écoutais, ravi, le dos bien calé dans mon fauteuil, tout en observant tranquillement le musicien.

Sherlock Holmes se tenait comme à son habitude près de la fenêtre ouverte, ses yeux d'un gris d'acier semblaient perdus dans de profondes pensées. Sa longue robe de chambre, dont les pans flottaient autour du violoniste tels d'immenses ailes de chauves-souris, ne cachait rien de la sveltesse de sa silhouette. Ses longs doigts pâles et minces dansaient rapidement sur les fines cordes de l'instrument. Le vent un peu chaud qui, pour une fois, soufflait sur Londres, pénétrait dans l'appartement en emmêlant les cheveux du détective.

Sherlock Holmes jouait admirablement bien, véritable virtuose du violon, n'importe quelle pièce même très difficile. Je suis certain qu'il était capable d'interpréter les concertos les plus complexes à l'instar des plus grands maîtres.

J'habitais avec Holmes depuis seulement un mois, mon épouse ayant du s'absenter subitement sur un message de sa tante pour une durée indéterminée. J'avais donc fait mes valises et étais venu m'installer chez mon ami. Je goûtais un instant de tranquillité entre deux enquêtes trépidantes.

Dans ces moments, il régnait à Baker Street une quiétude inhabituelle, sans précipitation, sans terrible crime à démêler, sans drogue... On était simplement là, nonchalant, calme, tout en dégustant un bon whisky ou une tasse de thé fumant, tandis que, dehors, dans les fumées et le brouillard de Londres, l'agitation restait.

C'était vraiment un moment privilégié, presque un rêve, car vivre dans la sérénité avec le plus grand champion de la loi de cette génération était véritablement impossible, excepté durant ces courts instants de paix entre deux tempêtes...

Mais comme tous les instants de paix, celui-ci eut une fin soudaine. J'entendis tout à coup la sonnerie stridente de la porte d'entrée du 22I b retentir ce qui eut pour effet d'arrêter la musique.

Holmes jeta son violon sur le divan en poussant un grognement de dépit :

- Lestrade ! Encore lui ! Pas moyen d'avoir un peu de tranquillité ! Quelques fois j'aimerais avoir moins de cervelle et plus de paix !

Je lui répondis en souriant d'un air désolé :

- Et que deviendriez-vous mon cher Holmes ? Un pauvre boutiquier ? Un simple avocat ? Voyons, vous savez fort bien que vous ne pouvez vivre sans crimes à élucider et sans obscurs mystères à éclaircir.

Il me lança un regard empreint de résignation comique.

- Vous avez raison, mon cher Watson, vous avez raison. Que ferais-je sans Scotland Yard ? Le tiers voire la moitié de mon travail me viennent de leur bêtise et de leur inefficacité dans les enquêtes un tant soit peu mystérieuses. Quant à ce malheureux Lestrade, à sa place, je m'inquiéterais.

J'éclatai de rire à ses petites allusions perfides. Pauvre Lestrade ! Avec Holmes, il n'était pas au bout de ses peines car celui-ci aimait à le rabaisser de toutes les façons possibles.

Le musicien rangea son violon, délicatement cette fois, dans son étui et vint s'asseoir dans son fauteuil face au mien.

Il était aisé pour une fois de deviner comment Holmes avait su que c'était Lestrade qui avait sonné car la voix de l'Inspecteur Principal de Scotland Yard, forte et vive, était parvenue jusqu'à nous malgré la musique. Lestrade avait certainement dû s'en prendre à l'infortuné cocher qui devait réclamer son argent avec un peu trop d'insistance.

Quelques minutes passèrent durant lesquelles Holmes se prépara une nouvelle pipe, la troisième depuis son réveil, puis il se cala à son tour dans son siège en observant d'un air rêveur le plafond. Enfin il me murmura :

Un crime à Buckingham PalaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant