XXI

531 47 90
                                    

Pdv Katsuki :

La clef tourna dans la serrure, ma mallette calée sous mon bras manqua encore une fois de tomber, la lumière de la cage d'escalier s'éteignit à ce moment là. Mauvaise matinée. Je poussai un soupir en appuyant frénétiquement sur le petit interrupteur. J'étais fatigué, un peu sur les nerfs et j'appréhendais. En descendant les marches je m'imaginai mes futurs subordonnés en face de moi, leurs têtes exaspérées ou curieuses et les murmures échangés après mon intervention. Les "C'est vraiment un bêta ?", "Dix contre un qu'il est pistonné...", "Moi je vous préviens je bosse pas sous lui, il se prend pour qui sérieux ?!" raisonnèrent dans ma tête.

S'ils savaient.

Je pris une grande inspiration en poussant la grille en fer forgé de la résidence. Le ciel était d'un bleu éclatant mais il faisait un froid glacial caractéristique des hivers gelés de mon pays. Mon pays. Même après presque deux ans à revivre si proche de là où j'avais grandi j'avais l'impression d'être un étranger. Mais le léger accent que j'avais quand je parlais anglais me rappelait mon appartenance à ces lieux.

Je m'engageai dans les rues alentours et retrouvai un peu de chaleur dans ma voiture où je m'empressai d'allumer le chauffage. Je soufflai sur mes mains pour les réchauffer et me mis en route. À vrai dire, mon petit accent était loin d'être la seule chose qui me rattache à ces lieux. À une cinquantaine de kilomètres de là, une ville côtière et ses habitants me rappelaient sans cesse tout ce qui s'était passé ici. Des choses que j'aurais préféré ne pas vivre, d'autres que j'aurais aimé retrouver. Et pourtant aujourd'hui c'était ma destination, ma ville natale où j'allais aussi mener le projet de ma vie, les équipes que j'avais toujours rêvé d'avoir, le tremplin de ma carrière. Enfin, à supposer que cette bande de gosses alphas en costumes trois pièces accepte de m'obéir...

Penser au travail m'évitait de m'attarder sur le parc attraction décrépi qui n'attirait plus que des ados en mal de sensations fortes. Ou encore cela m'empêchai de contempler les rues à la recherche de souvenirs ou de fantômes. D'un jeune homme aux cheveux rouges et à la tête bizarre, d'une coiffure en gratte-ciel, d'un sourire.

Mais encore une fois cette personne sortie d'un autre temps n'apparut pas, je soupirai de soulagement en repensant à ma promesse. J'avais refusé de le voir lors de mon emménagement, mais je me jurais chaque jour que ce serait pour bientôt. Peut-être que ce serait après ce projet, lorsque je serais intouchable et que je pourrais enfin renouer avec mon passé en étant fier de celui que j'étais devenu. Je craignais ce jour autant que je l'espérais. Ce serait sûrement une sorte de libération, à défaut de ressembler à de joyeuses retrouvailles comme dans un film de merde.

Le parking du grand immeuble où je venais de me garer me ramena à la réalité. Ça ne pouvait pas encore être le moment, même si la culpabilité me rongeais, même si ça me soulagerait, je n'étais pas prêt. Il y avait plus important, comme l'homme qui m'attendait à l'accueil pour mieux me conduire au vingt-cinquième étage du bâtiment de verre. J'adorais l'ironie de ce genre de tours. Les hommes qui fabriquaient les engins volants se trouvaient au ras du sol, ceux qui les inventaient ne montaient guère plus haut, et ceux qui faisaient une réunion pour décider de qui écrirait son nom sur l'aile se trouvaient au sommet, comme si avec leurs gros billets ils étaient les plus proches du ciel. Cela me faisait doucement sourire mais j'avais sans doute un sens de l'humour douteux.

L'ascenseur s'ouvrit sur un grand espace de travail, c'était très à la mode de ne plus séparer les bureaux. On me fixa avec hostilité, la rumeur sur ma "classe", ou plutôt celle que je m'étais désignée, avait dû me précéder. L'homme qui m'accompagnait me présenta sommairement aux ingénieurs triés sur le volet pour ce travail. Développer une version démocratisable des "taxis-volants" comme aimait le dire la presse. C'était un rêve qui nous plongeait en plein monde futuriste, mais qui ne pourrait se réaliser que s'ils me montraient un peu de respect. Et vu leurs têtes ce n'était pas gagné.

Eux, Nous, Ce Monde de Merde [KiriBaku]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant