Chapitre 3 - Emy

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Je sens les cicatrices sur mon bras de la veille me tirer, lorsque j'ouvre la portière. J'aperçois au loin ma cousine, une paire de lunettes de soleil sur les yeux.

Beaucoup de personnes sont présentes, et certaines discutent, en attendant sûrement que tout le monde soit arrivé.

J'ai à peine posé un pied au sol, que je vois ma cousine venir vers notre voiture.

- Ça va ? me dit-elle quand elle arrive à notre hauteur, et j'hoche la tête, en guise de réponse.

Ma gorge est nouée par un nœud, que personne ne pourrait défaire.

- Ok. On va y aller. Ça va commencer, lance-t-elle ensuite à mes parents.

Du haut de ses vingt ans, on ne croirait pas que son visage angélique cache une maturité aussi forte. Je sais très bien que derrière les verres noirs qui masquent son regard, elle renferme toute la douleur qu'elle refuse de montrer. Je suis consciente qu'elle souffre, et évidemment bien plus que moi.

Ma grand-mère était devenue une sorte de mère, pour elle. Sa mère biologique l'avait abandonnée, et son père l'avait mise à la rue dès qu'elle avait atteint l'âge majeur.

Elle me prend par le bras, et m'entraîne loin de mes parents.

- Tu es sûre que ça va ?

- Oui, soufflé-je. Ne t'inquiète pas, ajouté-je, en baissant la tête.

- Je suis là Emy, d'accord ?

- Merci, murmuré-je, en sachant très bien qu'elle n'aura pas besoin de ma douleur, en plus de la sienne.

- On se retrouve tout à l'heure.

J'acquiesce d'un mouvement de la tête, et envoie un message à mon meilleur ami pour lui dire que je suis bien arrivée. Sa réponse ne tarde pas, accompagnée d'un smiley qui me fait un clin d'œil. Tout le courage et la force qu'il me donne sont les bienvenus.

Ma mère est dans la salle d'attente, avec mon frère, et je devine bien rapidement que mon père est allé voir le corps de grand-mère.

L'attente est interminable, je veux que cette journée se finisse vite. Je n'en peux plus, de ressentir la tristesse des autres, leurs larmes, leur souffrance, leur peine. C'est dur. Tellement dur.

Je ravale mes larmes, les enterre au plus profond de moi, et me dis que je dois être forte. Que je ne dois pas pleurer.

Me vois-tu, grand-mère ?

Mon regard se jette sur le plafond, et même si je ne peux pas voir le ciel, c'est vers là-bas que je m'adresse. Je soupire doucement. Ma mère, à côté de moi, laisse sa douleur exploser, et je dois prendre sur moi pour ne pas la serrer contre moi.

Je regarde mon frère, qui lui semble déconnecté de tout ce qu'il se passe autour de lui. Ressent-il cette atmosphère pesante ? Quand ses yeux brillants laissent couler ses larmes, j'en déduis que oui.

On nous fait entrer dans une petite salle, et la plupart des personnes que je connais s'y installe. Certaines se mettent plus à l'écart.

L'homme qui présente la crémation, s'installe en face de nous. Le corps de grand-mère est ici. Devant lui. Devant nous. Il commence à présenter la défunte, comme s'il la connaissait, et je sens un sentiment de colère grandir en moi. De quel droit se permet-il de parler d'elle comme cela ? Il ne l'a jamais connue !

Lorsque le grand écran au-dessus de lui s'éclaire, et que quelques photos d'elle avec des personnes de la famille prennent place, je me sens tomber. Qu'est-ce qui pourrait me faire plus de mal que cette séparation ?

Tomber loin, profondément, loin de tout ce monde. Une photo d'elle souriante, avec ses trois fils. Une photo avec grand-père, quand ils étaient jeune. Une photo d'elle et de moi, petite. Ma vue se brouille.

Ses yeux malicieux, ses excès de colère et sa présence. Ses cheveux bouclés, sa joie de voir ses petits-enfants. Une femme admirable.

Le vide béant dans ma poitrine ne fait que de croître ; et comment pourrait-il rétrécir ?

Je sens une main prendre la mienne, et je sais très bien que c'est mon petit frère. Il sait qu'il ne la reverra plus jamais, et cela lui fait mal de revoir toutes ces images, qui ne montrent que des moments heureux.

Mais comment pourrai-je sourire devant ces clichés, alors que grand-mère va se faire brûler, dans quelques minutes ?

Une larme réussit à s'échapper de mon œil droit, et elle roule le long de ma joue. Je l'essuie rapidement. Personne ne doit voir que je pleure.

Mes yeux se ferment, tentant de coincer ma douleur dans le creux de mon cœur, et une seule pensée vient se nicher dans ma tête : je n'aurai jamais dû venir ici.

Je regrette toutes les fois où j'ai pu te mettre en colère, grand-mère, ou te rendre triste. Je te promets que je ne le ferais plus. Mais reviens.

Je sais que tu aurais détesté que je me morfonde, que je me renferme sur moi-même, que je sois triste. Mais je ne peux pas m'en empêcher. Ton départ pour un autre monde fait grandir ma tristesse.

Pourquoi la mort doit-elle nous arracher les personnes auxquelles on tient le plus ? Et pourtant, je ne peux me laisser envahir par la haine, envers cette mort. Parce qu'en cet instant, j'ai fortement envie qu'elle me prenne sous ses ailes, et qu'elle m'envoie dans le monde invisible, au-delà du ciel. Au-delà des étoiles.

Loin de la vie, loin de la mort. Loin de la tristesse, de la colère, et de la douleur. Loin de la joie, de la vérité, loin des disputes.

Et si chacune des étoiles du ciel représente des personnes que la mort a arraché à la vie, alors je veux en faire partie. Et ne plus jamais vivre avec toutes ces foutues émotions et ces fichus sentiments. Ne plus jamais rencontrer personne, pour ne plus souffrir.

Les doigts de mon petit frère se resserrent autour des miens, et je lui souris faiblement.

Mais je refuse de laisser mon frère sombrer aussi, comme moi. Je ne le laisserais pas.

S'il le faut, je défendrai toutes les personnes que j'aime à coup de couteau, contre la mort.

Je ne veux pas avoir à revivre une pareille douleur. Parce qu'elle s'est déjà emparée de moi. Et qu'il m'est impossible de faire demi-tour.

Prends ma mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant