Deux ans plus tard
Les tulipes que je tiens dans ma main tremblante commencent à ramollir suite à la chaleur qui se présente en ce soir d'été. Un petit vent me fouette le visage, et je ferme les yeux, profitant de cet instant de solitude.
Mes pas sont lents, mon esprit, serein. Mes pensées divergent vers mon avenir tout tracé, dans le monde du commerce. Mais pourtant, la seule qui hante toute ma tête depuis deux ans, n'a pas changé. Son nom est toujours Emy.
Arrivé devant sa tombe, au cimetière de la ville, je m'accroupis devant, dépose les tulipes dans un vase, et lève les yeux vers son nom.
Après qu'elle ait sauté de cette falaise, deux années auparavant, j'étais effondré. Son corps inerte avait été retrouvé au fond de l'eau, qui bordait la falaise. Le jour de son enterrement, je n'avais pas réussi à pleurer, c'était trop dur. Mes larmes ne voulaient pas couler.
- Emy, soufflé-je, et aussitôt, toute ma douleur refait surface. J'espère que tu vas bien. Putain, je suis con de te poser cette question, dis-je en riant nerveusement.
J'ai essayé de t'en vouloir, mais je n'ai jamais réussi. Ce n'était pas de ta faute, c'était de la mienne. Je n'ai pas réussi à te retenir, j'aurai dû. Il n'y a pas un seul jour sans que je ne pense à toi, tu sais. Parfois, je me rends sous le saule pleureur, en espérant que tu sois là. Mais je suis toujours seul.Je déglutis, cherchant mes mots.
- Ça me tue, de voir que tu n'iras jamais bien, alors que moi, je vais mieux. Je crois que c'est grâce à toi, quelque part. Je t'ai écouté, je suis allé voir Pierre. Il m'a beaucoup parlé de toi. Il disait que tu étais une de ses patientes préférées. Ton ami, Tylo. Il n'a pas compris pourquoi tu as fait ça. Il t'aimait bien plus que tu ne le penses.
Mes yeux se lèvent vers le ciel, le coucher de soleil pointant le bout de son nez. Une feuille tombe d'un arbre.
- Mon père est sorti de prison. Il m'a tout raconté. Il a essayé de rattraper le temps. On y arrive, peu à peu. Mais... j'ai toujours cette rancœur qui me bloque. Il a tué ma mère ! Volontaire ou non, je suis incapable de lui pardonner, lâché-je, entre deux temps de silence.
Les doigts gelés, j'effleure l'endroit dans lequel Emy est enterrée.
- Val' et ses parents se sont réconciliés. Il a un copain, maintenant. Ils sont heureux, ça se voit. Il m'a raconté que c'est leur regard l'un pour l'autre qui a fait changer d'avis ses parents. Ça me fait rire, lancé-je en souriant.
J'arrache quelques brins d'herbe au sol, pour faire passer mon angoisse, en vain.
- Je ne sais pas si tu m'entends vraiment, mais... je fais tout pour aller bien. Pour de faux. Chaque matin, j'enfile le masque qui me protège de la douleur, qui me fait sourire. Mais j'ai mal, Emy. Toutes les nuits, je te revois... sauter...
J'ai tout pour être heureux, je le sais. Mais j'y arrive pas. Ça me fait trop mal. Je m'en veux tellement de t'avoir laissée partir... chuchoté-je en prenant mon visage entre mes mains.Une pause se faufile entre mes paroles. Un silence. Un coup de vent.
- Emy, je... je ne sais pas combien de temps je vais tenir, à faire semblant. Il n'y a que Pierre qui est au courant. Il m'a dit que j'arriverais à faire ton deuil, que ça viendra avec le temps. Mais c'est comme pour mon meilleur ami, Nath'. J'y arriverai pas. Parce que je reste bloqué dans le passé, sans pouvoir avancer, expliqué-je doucement.
Je serre la mâchoire, baisse le regard au sol.
- L'assistante sociale a disparu le jour où mon père est revenu. Elle est s'est plantée chez nous deux jours après. Elle et mon père... enfin, tu vois, ils sont ensemble. J'arrive pas à l'accepter. Cette chieuse, je pensais qu'elle se casserait de ma vie, mais elle trouve toujours un prétexte pour m'emmerder.
Je la hais, elle me fait vivre un enfer, et tu sais c'est quoi, le pire ? C'est qu'elle se sert de nos entrevues lorsque mon père était en prison pour se défendre contre mon père quand il lui dit qu'elle est trop dure avec moi.Un soupir m'échappe, alors que le vent se calme. Je m'allonge à côté d'elle. Je l'imagine, son corps invisible à côté de le mien, comme tous les soirs où nous regardions les étoiles.
- Merci pour le chocolat, au fait. Honnêtement, je ne pensais pas que tu t'en souviendrais, murmuré-je.
Ma gorge se serre, et je ferme les yeux très fort, pour que son visage ne cesse d'apparaître dans mon esprit.
- Tu m'avais dit de continuer à vivre, si un jour tu n'étais plus là, continué-je. Je crois que je vais partir loin de ce pays, qui ne m'apporte que des problèmes. Je sais que tu adorais l'Irlande. Ce n'est pas très loin. Je te rapporterai un souvenir, je te le promets.
Un rire que je tente de réprimer franchi malgré tout mes lèvres. Des frissons me parcourent de nouveau.
- Tu me manques, Emy. J'aurai aimé que ça se passe autrement...
Un battement d'aile me fait sursauter. Au loin, je m'aperçois que c'est une chouette.
- Je vais partir. Je t'ai posé des tulipes. Les préférées de ma mère, tu te souviens ?
Je me lève, me positionne face à sa tombe, et fais demi-tour. Je marque un temps d'arrêt juste à l'entrée du cimetière. Et fais une promesse. Que je tiendrais.
- Si on se revoit dans une prochaine vie, je prendrais de nouveau ta main. Et cette fois, je ne la lâcherais pas.
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Prends ma main
Teen FictionUne déchirure. Des cicatrices. Des blessures. Une fille. Un garçon. Une rencontre. Une amitié. Des pleurs. De la peur. Un sourire. Un clin d'œil. Un baiser. "Prends ma main. Et ne la lâche plus." ⚠ Présence de scènes pouvant heurter la sen...