Chapitre 15 - Emy

30 6 62
                                    

Les doigts tremblants, j'appuie sur la sonnette du cabinet du psychologue avec lequel ma mère m'a pris un rendez-vous. Elle avait prétexté ne pas avoir de temps pour me parler, ainsi, je devais le faire avec quelqu'un d'autre, et un psychologue était la personne parfaite. Un inconnu, qui plus est. Pourquoi ma mère pense-t-elle que j'ai besoin de parler ? Je n'ai pas besoin d'embêter les autres avec toutes les émotions qui me bousculent.

Quelqu'un me fait entrer, avec un sourire, un jeune homme, je crois. Je ne suis pas sûre, parce qu'il a des longs cheveux châtains, et des cils aussi longs que ceux d'une fille.

- Tu peux entrer sans sonner. C'est la salle d'attente, ici, me dit-il.

La seule chose que je me demande, c'est "quel est son problème ?" Pourquoi vient-il chez un psychologue, alors qu'il a l'air d'aller parfaitement bien ?

- Merci, répondis-je, en lui adressant un regard qui lui demande d'aller regagner sa place, et de me laisser me débrouiller.

Mais il ne fait rien de tout ça, et attend que j'ai passé la porte pour fermer cette dernière. Puis il se place devant moi.

- Enchanté. Je m'appelle Tylo.

De nouveau ce sourire charmeur, et je sais qu'il souhaite que je me présente. Ce n'est que maintenant, que je remarque que nous sommes seuls dans la salle d'attente.

- D'accord, déclaré-je, et je crois voir un éclat de déception traverser son regard.

- Et toi ? insiste-t-il.

- Emy.

- Ok, Emy. Pourquoi tu viens ici ?

Soudain, ses questions m'agacent, et je plante mes yeux dans les siens.

- C'est toi le psy ou quoi ? Mêle-toi de tes problèmes, pas des miens, grogné-je, en m'asseyant sur une chaise, la plus loin possible de lui.

Je plonge les yeux dans un magazine féminin banal, vantant toutes sortes de produits de beauté, simplement que le dénommé Tylo me laisse tranquille, mais ça doit pourtant être compliqué pour lui.

- Tu as un copain ? me demande-t-il.

- En quoi est-ce que ça pourrait t'apporter quelque chose ? rétorqué-je.

Des bribes de conversation se font entendre de l'autre côté de la porte où je pense que les rendez-vous ont lieu, et soudain, celle-ci s'ouvre, dévoilant deux personnes. Un client, la quarantaine, je dirais, et le psy, sans aucun doute, jeune et légèrement barbu. Les deux hommes se serrent la main, et le client sort de la salle d'attente.

Tylo, moi et le psy, dans la même pièce.

- Tu dois être Emy. J'imagine que Tylo s'est déjà présenté, rit doucement le psy. Pour moi, tu peux m'appeler Pierre.

Pierre, un nom bien banal, presque aussi banal que les produits de beauté du magazine.

- Bonjour, lâché-je, ne sachant que dire d'autre.

Il lance un regard appuyé à Tylo, lequel baisse les yeux, et Pierre me fait entrer dans son cabinet. La porte se referme derrière nous.

- Installe-toi, Emy.

Mes fesses se déposent lentement sur la chaise, comme si j'avais peur qu'elle se fracasse sous mon poids. En face de lui, seule une table nous sépare.

Pierre fouille des papiers, posés sur son bureau, en mettant ses lunettes. Des lunettes rondes, dont la monture me fait penser aux époques des années précédentes.

- Alors, Emy. Problèmes de communication. C'est ce que ta mère m'a dit, il me semble, au téléphone, me dit-il.

Je hausse les épaules, ne sachant pas vraiment quoi lui répondre. Un soupir franchi la barrière de ses lèvres.

- As-tu des problèmes au sein de ta famille ?

Mes yeux observent les multiples crayons disposés dans le pot, qui trône sur le bord du bureau de psychologue.

- Emy ?

De nouveau, son regard accroche le mien.

- Des problèmes avec tes amis ? demande-t-il, et je me dis qu'il faut une patience incroyable pour faire ce métier.

Aucune réponse ne vient à l'esprit. Seulement une question. Parce que : quels amis ?

- Bon, ok. On va procéder autrement. Tu aimerais que je mette de la musique, pour te détendre ?

Et là, je voudrais lui dire que je suis parfaitement détendue, que je n'ai pas besoin de musique, et de plus, je sais pertinemment qu'il ne connaît pas les musiques que j'aime. Mais les mots ne sortent pas de ma bouche, puisqu'il parle avant moi.

- Quelle musique aimes-tu ? m'interroge-t-il, en remontant ses lunettes.

De nouveau aucune réponse de ma part.

- Emy ? Il faut que tu m'aides, sinon, on n'y arrivera pas, lance-t-il.

Ça me fait penser à James. Lui, ne m'a pas demandé si j'avais besoin d'aide. Je ne l'ai pas appelé. Il a simplement deviné. Et inversement.

Je me demande si Pierre a vraiment envie de faire ce métier. Peut-être le fait-il pour l'argent.

- Tu peux te lever, s'il te plaît ?

Mes chevilles craquent, quand mes jambes se remettent droites. Je vois le psychologue s'approcher de moi, et soudain, je me pose la question : que va-t-il me faire ?

Ses pupilles se rétrécient, et il pose une main sur ma hanche gauche, après avoir fait le tour de la table qui lui sert de bureau.

Des brusques frissons me parcourent, et se répercutent dans tout mon corps. Pétrifiée sur place, je ne parviens à esquisser aucun mouvement, et pourtant, je meurs d'envie qu'il enlève ses doigts de ma peau, recouverte d'un pull épais.

Dans un élan de panique, je recule brusquement. Pour qui se prend-il, de me toucher ainsi ?

- Pierre... avez-vous des toilettes, s'il vous plaît ? balbutié-je, frissonnante.

- Bien sûr. Ici, à droite, m'indique-t-il, en désignant la porte sur le côté de la pièce.

J'y cours presque, et une fois que j'y suis, je m'y enferme.

- Putain, soufflé-je, les paumes des mains plaquées sur la porte fermée à clé.

Quelques larmes se fraient un passage sur mes joues, et bientôt, je ressens la pression que j'avais accumulé, s'évader de mon organisme.

Malgré tout, le trou de ma poitrine s'agrandit un peu plus, et je comprends que ce qui s'est évacué de mon corps, n'est pas de la pression, mais plutôt l'espoir que quelqu'un puisse me sortir de cette galère.

Parce qu'aujourd'hui, plus personne ne peut faire quelque chose pour moi. Pas même ce James. Ni ce putain de psy.

---

hello, vous allez bien ?

j'espère qu'on sera pas reconfinés :(

passez une bonne journée !

Prends ma mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant