Ça fait bientôt un quart d'heure que mes parents sont en train de se crier dessus. Je les entends depuis ma chambre, mais je n'ose pas intervenir. Qu'est-ce que ça pourrait changer ? Heureusement que mon frère est chez un copain pour ce soir, sinon j'aurai passé ma soirée à essayer de le réconforter.
Lorsque mes yeux commencent à me piquer, je me rends compte bien trop tard que je pleure. Quand tout cela cessera-t-il ? Ma conscience me souffle que c'est un cercle sans fin.
Les paroles de mes géniteurs montent en puissance, alors que ma douleur enfle rapidement, comme si c'était une douleur ouverte sur ma peau. Et pourtant, c'est mon cœur qui est en train de saigner.
Un claquement sec retenti, et tout à coup, il n'y a plus un seul bruit dans la maison. Je comprends aussitôt que l'un des deux a frappé l'autre. Mon cerveau m'insuffle que c'est mon père qui a levé la main sur ma mère, mais je refuse d'y croire.
Mes yeux se ferment d'eux-mêmes, et des doigts imaginaires m'enserrent la gorge, dans l'espoir de m'épargner des souffrances supplémentaires. Je me fige soudain, lorsque mes oreilles captent ce que vient de dire mon père.
- Bien sûr que je te trompe ! Elle est bien meilleure que toi, et ce, dans tous les domaines !
Quelque chose se brise en moi. Ma famille est écrasée. Plus le temps passe, et plus je suis persuadée que c'est le cas.
Une brusque envie de voir ma grand-mère me prend les trippes, et je passe devant mes parents, sans même prendre la peine de leur adresser un regard. Une fois dehors, je peux enfin respirer, quitter cette maison devenue si étouffante.
Le cimetière ne se situe pas très loin de chez moi. Dix minutes grand maximum à pied. Le chemin que j'emprunte est légèrement broussailleux, mais ça ne me dérange pas. Des orties m'effleurent, provoquant de fortes démangeaisons sur mes chevilles, des ronces s'ancrent dans ma chair, pour m'arracher un peu de peau.
Au loin, j'aperçois les tombes plus ou moins hautes, mais ce n'est pas ce qui me saute aux yeux. En me rapprochant silencieusement, le dos de James assis devant une tombe me fait face. Que fait-il ici ?
La même chose que toi, pensé-je.
- James ? chuchoté-je à quelques pas de lui, et je le vois sursauter puis se retourner brusquement.
- Emy ! Ne refais jamais ça ! J'ai eu peur ! s'exclame-t-il à voix basse.
Je relève immédiatement ses yeux injectés de sang, et son teint pâle, à la lumière que la lune nous offre, aussi bienveillante qu'elle soit.
- Je viens voir ma grand-mère, lâché-je, dans un murmure. Ça fait cinq ans que je vis sans elle. C'est difficile.
Je ne sais pas d'où me vient cette force, de lui conter mon passé, et James est malgré tout la seule personne avec qui j'ai vraiment envie de partager ça.
- Je regrette tous les moments que j'ai évité de passer avec elle. C'était une femme formidable, remarqué-je dans un triste sourire.
- Moi, c'est mon meilleur ami. Il s'est suicidé il y a à peine trois mois. Il... il a fait une overdose.
Les couleurs de la douleur se peignent sur son visage. Ses joues rougissent, et ses yeux s'assombrissent.
- J'avais les moyens de l'empêcher de recommencer, mais j'étais trop con et... j'ai rien vu venir, balbutie-t-il, les doigts tremblants.
Mes genoux fléchissent, et je m'accroupis en face de James.
- Hé, ce n'est pas de ta faute. Si c'est lui qui a fait ce choix... tu ne dois pas lui en vouloir, tenté-je de diminuer son degré de souffrance.
- Non ! Il était jeune ! Il avait toute la vie devant lui ! Même s'il avait des problèmes au niveau de sa santé et de son moral... il aurait dû chercher à les résoudre, plutôt qu'à les fuir.
Stupéfaite par les mots qu'il vient de prononcer, mes muscles s'immobilisent, et plus aucun son ne franchit la barrière de mes lèvres. C'est comme si le temps s'était arrêté. Mes pensées devraient être identiques aux siennes.
- Et toi ?
Sa question me sort violemment de ma torpeur, et je devine qu'il me parle de ma grand-mère.
- Elle a fait un arrêt cardiaque.
Il hoche la tête, et je refoule mes larmes. Ce n'est certainement pas le moment de pleurer. Les poings de James sont tellement serrés, que ses phalanges apparaissent à travers sa peau.
- James ?
- Je n'ai pas envie que ma mère soit morte. Je ne veux pas y croire, murmure-t-il.
Une mèche de ses cheveux glisse devant ses yeux, et ces derniers se noient dans les miens. Ils reflètent toutes les émotions de James. Un vide si profond que si quelqu'un décide de s'y aventurer, il ne pourra jamais en retrouver la surface.
- On n'a pas choisi qu'ils meurent, tu sais. Il faut faire avec, soufflé-je en guise de réponse.
Les tombes des personnes défuntes autour de nous sont silencieuses, et mes paupières se closent dans la nuit obscure, illuminée par la lune.
Des doigts se faufilent dans les miens, et bientôt, un corps brûlant se blottit contre le mien. Pourtant, je suis incapable de sourire, parce que je sais que James fait ça pour essayer de se réconforter.
Quand je sens ses larmes couler dans mon cou, les miennes me montent aux yeux. Mon cœur se perce par plein de petites balles qui le fusille, et les sanglots de James cassent l'ambiance mortelle du cimetière. Ses larmes continuent de prendre vie au creux de ses paupières, alors, je le recule, et prends son visage entre mes mains.
- Hé, arrête de pleurer, James, dis-je dans un soupir, alors que ma propre vue devient floue. Observe les étoiles, lui suggéré-je en levant les yeux vers le ciel.
Soudain, il n'y a plus de sanglots, plus de larmes, plus de marque de douleur. Simplement, James, les étoiles, et moi.
Les mains de James se resserrent au centre de mon dos, me rapprochant encore plus de son torse.
- Je ne crois pas que je m'en remettrai, si tu rejoins les étoiles avant moi, chuchote-t-il.
Et cette fois, je ne peux empêcher de laisser couler la larme qui roule silencieusement sur ma joue.
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Prends ma main
Roman pour AdolescentsUne déchirure. Des cicatrices. Des blessures. Une fille. Un garçon. Une rencontre. Une amitié. Des pleurs. De la peur. Un sourire. Un clin d'œil. Un baiser. "Prends ma main. Et ne la lâche plus." ⚠ Présence de scènes pouvant heurter la sen...