Chapitre 25 - Emy

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Son visage se coince dans mes pensées, et à l'idée que je ne puisse pas la revoir, mon cœur se pince. Mes cils s'humidifient, alors qu'un nœud enserre ma gorge, m'empêchant de produire le moindre son.

Je m'agrippe à l'album photo comme à une bouée de sauvetage, qui tôt ou tard, me laissera couler dans les méandres de ce monde qui n'est pas pour moi. Du moins, pas dans lequel je suis censée vivre.

Les clichés me rappellent des souvenirs bien de trop récents, qui provoquent en moi des centaines de petits points de colère, partout dans mon corps.

- Grand-mère, murmuré-je en silence dans ma tête.

Pourquoi cela m'arrive-t-il à moi ? Hein ? La vie est tellement injuste.

- Un jour, je viendrais te rejoindre. Et je deviendrais une étoile parmi les étoiles. Un peu comme toi, articulé-je difficilement.

Son sourire sur la photographie que je tiens entre mes doigts est si éclatant, si pétillant de vie, qu'il me fait pleurer.

Je déteste ma vie, je hais tout de moi. Rien ni personne ne peut m'aimer. Et je suis incapable de donner de l'amour en retour.

Les images de repas de famille, de soirées d'anniversaire, de mariage, ne tardent pas à arriver, et sur chacune d'elle, ma grand-mère est tellement assoiffée de vie, de rire, de bonheur, que l'espace d'un instant, je me remémore nos petits disputes pour du chocolat, qui finissaient toujours par un fou-rire ou par une blague.

- Je t'aime encore, grand-mère, soufflé-je, les yeux perdus dans le vide.

Et en à peine quelques fractions de seconde, un marteau me tombe dessus, et pousse de toutes ses forces vers ma poitrine, défiant les forces de gravité. Mais ce n'est simplement que mon imagination, et pourtant, chaque coup porté me rapproche un peu plus du coup de grâce de la souffrance.

Mes pupilles embuées ne cessent de regarder son visage, et mon cerveau de regretter les moments que j'ai volontairement refusé de passer avec elle.

Un flash traverse la pièce, et je comprends trop qu'il y a de l'orage dehors. Les clichés s'échouent au sol, tandis que je me lève. Les éclairs zèbrent le ciel, l'éclairent dans un spectacle de lumières. C'est magnifique. Le son du bruit de la pluie sur mon velux est si hypnotisant que j'en oublie presque la mort de ma grand-mère. Presque.

Il n'y a pas d'étoiles, ce soir. Pas de lune. Seulement des gros et imposants nuages qui font barrage entre nous, pauvres humains, et le ciel, qui donne accès à un monde bien plus brillant et attirant que le nôtre.

Un coup de tonnerre me ramène brusquement à la réalité, et je range rapidement mes vieilles photos qui ne font que remuer le couteau planté dans mon cœur.

La poupée aux cheveux blonds, vêtue d'une robe bleue, posée sur l'étagère la plus haute de ma chambre me fait penser à la collection de poupées qu'elle faisait.

Je me revois encore, le jour de l'enterrement. Ma grand-mère n'aurait jamais souhaité qu'on lui apporte autant d'amour et d'attention. Ma douleur est toujours là. Elle attend simplement le moment où elle pourra me clouer au sol, et que je pourrais rien faire pour me défendre contre elle.

- Non, je n'ai pas encore eu le temps de repasser. Tu veux que je repasse quoi ?

La voix de mon père lâche cette phrase juste derrière ma porte, et j'ai peur qu'il ne rentre soudainement dans ma chambre.

- Mon tee-shirt, s'il te plaît ! Et dépêche-toi, j'ai froid ! s'exclame ma mère depuis la salle de bain.

- Tu pouvais le faire avant. Je ne suis pas multi-fonction, rétorque mon paternel.

- Paul ! S'il te plaît !

- Tu vas te démerder, surtout, grogne mon père dans sa barbe invisible.

Je suis persuadée que ma mère est en train de froncer les sourcils face à ce que lui refuse mon père.

- Je te déteste ! lance-t-elle, et je doute que ce soit vraiment pour rire.

Mon père n'a pas bougé, il est toujours en haut des escaliers, et je me demande ce qu'il fait. J'entrouvre la porte, puis je comprends rapidement ce qui est en train de se passer. Le sourire plaqué sur les lèvres de mon père est celui d'un homme qui regarde sa femme. Marcher en sous-vêtements en pestant contre son mari. Mais alors, trompe-t-il réellement ma mère ? Ou n'est-ce qu'une fausse image qu'il veut donner de lui ?

- Où est-ce que tu as mis mon tee-shirt ? C'était le bleu ! s'écrie ma mère, et sans aucun doute, il n'est pas à portée de vue. Putain !

- Maman, calme-toi...

Mes yeux s'agrandissent de stupeur. C'est la voix de mon frère. Pourquoi n'est-il pas dans sa chambre ? Ce n'est pas la première fois qu'il voit notre mère presque nue, non, simplement, il ne doit surtout pas intervenir dans leurs disputes. Parce qu'il sera puni pour quelque chose qu'il n'a pas fait.

- Toi, monte dans ta chambre, lui ordonne ma mère, ce qu'il refuse bien évidemment de faire.

J'hésite à sortir de ma chambre, juste pour que mon frère puisse aller dans la sienne, mais à l'instant où je m'apprête à le faire, il est déjà trop tard.

- Apporte-moi tes livres, claque la voix de ma mère.

- Mais maman... proteste-t-il.

- Tout de suite ! rugit-elle soudain.

Mon frère lui apporte ses livres, en dévalant l'escalier le plus vite possible, et j'ai peur qu'il ne se fasse mal.

Ma mère les lui arrache des mains, je l'entends. Elle est purement en colère.

Quand je sais enfin que mon frère est enfermé dans sa chambre, mais que les parents se cherchent toujours, je m'affale sur mon lit, en étoile.

L'orage gronde toujours dehors. Mais celui à l'intérieur de moi est bien plus puissant et dévastateur. Il a déjà foutu le bordel dans ma tête, et je me demande si cela peut-être encore pire, si un jour, les étoiles régneront en paix.

Et je n'y crois pas une seule seconde.

Prends ma mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant