→ 12. A la lueur d'une bougie

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- L'après-midi s'est bien passée pour vous deux à ce que je vois, fit remarquer Jin sur le ton le plus enjoué qu'il pouvait prendre.

Il paraissait bien morne, Jin, aux cotés des deux compagnons qui revenaient de leur balade. La journée commençait à passer et le froid et le vent leurs avaient un peu rougi les joues. Yoongi était rentré et tous les trois – lui, Jin et Hoseok – étaient à la cuisine en train de discuter quand les deux jeunes avaient bruyamment pénétré dans la maison du peintre.

Yoongi avait l'air heureux, pas du tout déprimé comme Taehyung avait eu peur de le retrouver. Après tout il avait sûrement revu le jeune héritier Park aujourd'hui, donc Taehyung s'était attendu au pire. Mais son maître semblait plutôt heureux.

- Namjoon n'est pas resté ? demanda Jungkook en pénétrant dans la cuisine à la suite de Jin qui se figea le temps d'un quart de seconde seulement.

Le jeune marin savait qu'il avait passé la journée avec le peintre, il aurait donc pensé le voir ici ce soir.

- Ça fait longtemps que je ne l'ai pas revu, ajouta le noiraud en déposant sa veste sur le seul tabouret encore libre de la pièce.

- En même temps, commença Hoseok de sa voix aiguë portant plus que nécessaire, Yoongi ne le laisse plus mettre un pied ici depuis qu'il a saccagé un mois de travail et des pièces de couleurs.

Jungkook éclata de rire en avançant le tabouret vers la table qu'entouraient déjà les trois amis. C'était parti pour un épisode Namjoon, un de leur passe-temps favori, des genres de contes qu'ils se racontaient leurs soirs de beuveries au coin du poêle ou à la lumière d'une bougie avant que le peintre, radin qu'il était, rappelle que les bougies coûtaient cher et que tout le monde finisse par quitter la maison, laissant ce ronchon dormir tout seul.

Mais ce soir Yoongi semblait presque enjoué et il commença lui-même à raconter le plus désastreux des épisodes Namjoon, pas si vieux en date et auquel Jungkook n'avait pas eu la chance d'asister ; ni Taehyung d'ailleurs puisque cela s'était déroulé quelques semaines avant son arrivée chez le peintre.

Il y avait quatre tabourets dans la cuisine, il y avait quatre amis autour de cette table, assis sur ces tabourets à la lueur d'un jour déclinant et d'une chandelle encore haute.

Quatre jeunes hommes usés par la vie qui paraissaient des vieillards, de vieux amis dont la jeunesse contrastait avec l'encrage intemporel de leur relation : ils étaient comme hors du monde ensemble, tous les quatre à bavarder de leur passé. Un artiste, deux âmes perdues, un jeune marin-soldat, un tableau éternel.

En regardant ce tableau, Taehyung sentit pour une des première fois de sa vie le véritable poids de l'existence. Il se glissa hors de la pièce où étaient installés les quatre amis qui pourtant ne s'adressaient pas moins à lui qu'à l'un d'entre-eux. Il gravit discrètement la dizaine de marches qui le menaient à sa chambre, s'éloignant des éclats de rires d'Hoseok et de Jungkook et de la voix posée de son maître.

Il avait besoin de dessiner, ç'avait toujours été un besoin vital et là cette nécessité l'emplissait à nouveau et contrôlait chacun de ses mouvements. Il attrapa le cahier dans lequel il ne restait que quelques pages blanches et dont toutes les autres étaient noires tellement elles étaient remplies. Il ramassa à tâtons un fusain qui traînait sur le parquet grossier du débarra qui lui servait d'espace personnel, non sans laisser une longue trace noire identique à une centaine d'autres entre les planches, les murs et les draps. Bientôt Taehyung, comme cette pièce, comme le peintre, comme cette maison, aurait les doigts noirs, imprégnés par le charbon. Ses plis de mains seraient marqués de noirs, l'espace entre ses ongles et sa peau salie par cette poussière. Parfois il n'y faisait même plus attention et restait des journées entières avec les joues barbouillés de ce même noir.

Pigments [KookV]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant