→ 23. Terre et Mer

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[pour le dernier chapitre de cette partie centrale je fais un truc que je n'ai pas du tout fait dans les autres chapitres : je mets une musique en média. Elle est très représentative de l'histoire de Jungkook à mon goût. Je ne m'en suis pas inspirée parce que quand j'ai commencé Pigments je n'avais pas encore découvert le duo Scylla-Sofiane Pamart mais à présent elle est juste parfaite si vous écoutez les paroles...

Je vous laisse avec l'histoire. Cœur]


Ballottant sur les eaux agitées, il est malade, ça fait des jours qu'il n'a pas ouvert un œil. Il est déshydraté, il est blessé, il n'a pas mangé. Il va mourir.


Pas claquant sur les pavés, il n'a été aussi joyeux depuis des années. Il court, le cœur plein d'espoirs : ceux d'un nouveau chapitre.


Ça chuchote beaucoup sur le navire ces derniers jours. Ce fut l'hécatombe et ceux qui n'y étaient pas comptent à rebours les survivants. Ils étaient des dizaines à arriver blessés portant d'autres blessés. Les plaies les plus bénignes ont été soignées, les blessés plus graves chargés à bord.

Et à présent, une bonne semaine plus tard, on jette les cadavres par dessus bord à raison de plusieurs par jour.

On parle notamment du jeune homme dans les cales. Le suivant sur la liste. Bientôt son corps sera avalé par l'océan, comme le souhaiterait tout marin. Il est juste un peu jeune pour ça, lui... Et puis ils l'aimaient bien, eux, le gamin qui n'en est plus un depuis longtemps. Il en est des plus jeunes, mais ils n'ont jamais vu aussi fidèle équipier, marin aussi fidèle à la mer. Ils ont bien vu son air sur terre quand ils ont débarqué : métamorphosé. Certains ici sont des soldats, des vrais, qui vomissent leurs tripes pendant des mois priant pour la bagarre juste car faire la guerre veut dire être sur terre : les batailles navales sont rares. D'autres, comme Kook, sont des marins dans l'âme, ils ont la mer qui coule dans les veines et ne peuvent pas voir la terre même si c'est depuis l'océan.

Il divague, c'est à peine s'il a ouvert les yeux depuis qu'il a été rapatrié jusqu'à l'eau. « Je veux rentrer à la maison », c'est la seule chose qu'il a prononcé. Ils sont partis. Ils ont chargé un nouveau navire de blessés, pris les derniers arrivés parmi lesquels Jungkook et ont largué les amarres, laissant une petite montagne de corps encore chauds parfois, encore murmurant même, mais trop abîmés, sur les quais.

Il est bien amoché, certainement que toutes ses plaies se sont infectées. Elles sont béantes et l'eau de mer qu'on y jette n'arrive qu'à le faire hurler. Au moins on arrive à savoir qu'il est toujours en vie... Quoique ça la fièvre le montre aussi : son corps boue. Il sue et trempe les draps dont on le recouvre en à peine quelques minutes. À l'heure où je vous parle, le médecin ne daigne même plus jeter un œil sur lui.

Mais son corps lutte, même si lui est inconscient à présent. Il n'est pas mort. Et le lendemain non plus alors même que les brancardiers sont venus le chercher pour l'emporter là-haut, hors des cales. Il dort, son corps parfois secoué par quelques frissons, ses longues mèches bouclant collées sur son front poisseux. Il a des régurgitations séchées au bord de ses lèvres gercées. Il est sans doute déshydraté, on s'attendait à le voir mort. Alors on lui verse de l'eau dans la bouche pourtant convaincu que c'est gaspiller le peu de réserve, que c'est en priver ceux qui ont des chances de s'en sortir. Mais aucun des marins en charge des blessés n'a le cœur assez dur pour abandonner Kook. Parce que Kook c'est l'enfant de la mer. Ils ont peur les marins, ils sont superstitieux : mais comment ne pas l'être quand seul l'océan vous entoure ? Quand cette force divine vous ballotte et rythme votre vie depuis toujours et pour toujours ? C'est une dévotion, c'est une soumission et rien ne garanti que la mer vous acceptera. Rien ne garanti qu'elle voudra de vous sur ses flots. Rien ne garanti qu'elle ne vous avalera pas dès votre premier voyage.

Pigments [KookV]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant