→ 14. Et pourtant je n'ai jamais dit que je resterai...

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Quand le noiraud se réveilla, la chambre était vide de toute autre présence que la sienne. La première pensée qui vint à son esprit fut : « Je n'ai pas pu lui dire finalement ». Il maudit cette chambre, la tenant pour responsable de son sommeil de plomb, parce qu'il s'y sentait trop en sécurité et qu'il n'avait aucun mal à se laisser engloutir par la nuit ici, aucun mal à rêver. C'est le cœur lourd qu'il se redressa du sol où il avait passé la nuit ; le lit à ses coté était vide, la couverture à peine retirée. Une feuille était posée dessus.

Le châtain avait du passer la partie de la nuit qui lui restait pour produire quelque chose de si détaillé à l'aide d'un simple fusain, éclairé seulement par la lueur de la lune et des étoiles filtrée par la vitre.

On aurait dit lui, en beaucoup plus jeune. Jungkook passa une main dans ses cheveux : étaient-ils déjà aussi long ? Il faudrait qu'il les coupe alors. Dommage, pensa-t-il, il aimait bien avoir des mèches longues, les sentir lui caresser le visage quand le vent marin, lui, fouettait sa peau : un peu de douceur dans cet univers si froid, si tranchant. Ses traits étaient moins tirés, son visage paraissait plus détendu et sa bouche entrouverte laissait voir deux bouts de dents. Ces deux dents de devant dont Hoseok, Jin et Yoongi gardaient un souvenir adorable, ces dents qui lorsqu'il était plus jeune lui semblaient tout simplement proéminentes mais qui, à partir de ce moment le feraient sourire car Taehyung, qui ne le connaissait pas enfant, les avait remarquées quand même. Sur le dessin, la couverture venait lui manger la moitié du visage et Taehyung n'avait pas fait abstraction de ce détail plein de réalisme, le portrait revêtait une originalité toute particulière grâce à ça. Et à la maîtrise bien trop parfaite de Taehyung. Jungkook aurait-il été capable d'atteindre un tel niveau ?

Ce dernier portrait que Taehyung avait fait le rendait nostalgique d'un temps où il passait ses journées à dessiner sous les bons conseils de Yoongi ; envieux aussi, d'un temps qu'il n'avait pour le coup pas connu : celui de la perfection, de l'accomplissement, un temps que Taehyung n'aurait aucun mal à atteindre, Jungkook en était persuadé.

Encore une fois il se demandait, s'il n'aurait pas du persévérer. Et s'il avait continué à travailler, à s'acharner, aurait-il eu une chance dans ce monde ? C'étaient des questions qui avaient surgi les mois suivant son abandon, lors de ses premières sorties en mer, quand l'eau se défoulait sur les navires, quand elle engloutissait les hommes ou encore lorsqu'ils débarquaient, après de rudes mois de navigation, en des terres inconnues, dangereuses, pour faire la guerre. Mais alors il prenait ça comme une punition : il ne pouvait peindre des mondes comme Yoongi, il allait donc les détruire. Aux paysages paradisiaques, aux natures vertes, se substituaient des campagnes grises, du sang, de la violence, des images ancrées en lui pour toujours qu'il prenait soin de ne partager avec personne. À présent, s'il s'essayait au dessin ses mains tremblaient, comme pour lui indiquer qu'il était trop tard, qu'il n'en était plus digne.

Pourtant la veille, lorsqu'il avait mécaniquement pris ce fusain des mains de Taehyung, ses doigts n'avaient pas tremblé, le morceau de charbon ne s'était pas brisé entre ses phalanges abîmées et bien trop raides à présent.

Il tourna sa paume de main vers le haut et baissa les yeux pour l'observer : il n'y avait plus aucune trace noire dessus, le charbon ne tenait pas sur sa peau rêche, les petites particules ne s'insinuaient pas entre ses lignes de vie, de chance et d'amour, ses mains caleuses n'étaient plus celles d'un artiste. Il reposa le croquis, il ne pourrait pas remercier Taehyung de l'avoir peint comme il était autrefois.

Sur ces tristes conclusions il se leva enfin, s'étirant. Le sol n'était pas moins confortable que le fond d'une cale ou que les planches d'un pont de navire. Il n'avait eu d'autre choix que de s'y habituer, laissant derrière lui le confort pourtant très relatif de la maison du peintre où il avait passé la majeure partie de son enfance. Y laissant souvenirs heureux, innocence et beauté, échangeant tout ce dont il n'était pas digne contre l'horreur de la vie. Il aurait pu échapper à tout ça, il avait, parmi tous les êtres humains du monde, eu la possibilité d'échapper à tout ça et il avait tout gâché. À présent il n'avait plus moyen de se plaindre, il n'en avait même plus le droit. Il avait même de la chance qu'encore quelques personnes attendent son retour à chaque départ. 


La maison était vide, l'escalier grinça quand il posa son pied sur la première marche. À quel moment avait-il oublié que l'escalier grinçait ? Y avait-il déjà repensé depuis ce fameux matin où il avait espéré échapper à des adieux déchirants et où l'escalier l'avait trahi, réveillant son maître au sommeil pourtant lourd ?

Que c'était-il passé ce matin là ? Où avait-il trouvé le courage de s'enfuir d'un maison pleine ?

Matin brumeux, Hoseok était dans la chambre du peintre aussi. Yoongi et lui s'étaient réveillés juste à temps pour voir leur premier protégé partir un sac en toile cousue à la main sur le dos. Il avait du leur dire, Yoongi l'avait accompagné jusqu'au port, essayant de comprendre tandis qu'Hobi n'avait pu sécher ses larmes et était resté dans les escaliers de la demeure du peintre.

Mais il n'y avait rien à comprendre, peut-être Jungkook avait-il passé trop de temps à regarder les bateaux s'en aller en mer ? Peut-être qu'il ne pouvait penser à rien d'autre que ce que Jin lui avait un jour avoué ? Peut-être qu'après être né sur un bateau il souhaitait inconsciemment y mourir ? Cette dernière conclusion était celle d'Hoseok, celui des quatre amis qui avait le plus mal vécu le départ de Jungkook bien que tous eurent été chamboulés. Jin ne serait plus jamais le même, Hoseok conserverait sa joie de vivre en façade, et Min Yoongi se refermerait encore plus. Chacun d'eux pensait que son départ avait quelque chose à voir avec lui : Jin était persuadé que s'il n'avait parlé à Jungkook de ses origines, il aurait peut-être échappé à sa destinée ; Hoseok pensait que s'il avait pu donner à Jungkook une meilleur image de ce monde, de cette ville, de cette vie, Jungkook n'aurait pas pensé à partir : quant à Yoongi il s'en voulait d'avoir été si dur avec cet élève, son premier - et jusqu'à l'arrivée de Taehyung il pensait unique - élève. Jungkook il avait été pour les trois hommes un rayon de soleil qui s'était éteint bien trop vite. Ils n'avaient su préserver sa lumière, ils avaient absorbé tout son rayonnement et l'avaient rendu gris, comme eux, lui avaient trop montré la vie et ce dont elle retournait ici. 


Ce matin il se tenait seul dans l'entrée. Pas de larmes, pas d'adieux. Il partait comme il aurait aimé pouvoir le faire quelques années en arrière. Pourtant cette fois il aurait eu envie de dire au-revoir, parier sur un au-revoir alors que jusqu'à présent, en partant, c'était des « adieu » qu'il avait murmuré.

Il était revenu, une première fois, une seconde, une troisième. Quand il revenait finalement, tout était comme avant, ou presque. Jin riait, parfois. Hobi aimait la vie, à nouveau. Yoongi peignait, mieux que jamais. Et une fois il était rentré et tout était déjà parfait : Jin souriait, Hobi rayonnait, Yoongi peignait. Jungkook avait eu peur en rentrant cette fois-là, il n'avait voulu rendre visite au peintre et à son nouvel apprenti de peur de ne plus trouver sa place sans cette famille à nouveau comblée. Puis il avait fait la connaissance de Taehyung et il avait lui aussi été envoûté par ce garçon aux cheveux bruns, à la timidité maladive qui avait réussi à rendre un peu de vie à ses vieux amis et, il s'en rendait compte à présent, à lui.

Il reviendrait encore la prochaine fois, et peut-être arriverait-il à dire qu'il resterait ? 


Il ferma la porte derrière lui, salua la voisine qui amenait du pain encore chaud et balança son sac sur son épaule.

Il n'avait dit à personne qu'il repartirait, pour autant il n'avait pas non plus dit qu'il resterait. 



***

Il est finalement là, ce chapitre. Et j'ai l'impression d'avoir retrouvé un peu de souffle pour écrire cette fanfiction. En même temps j'attendais ce chapitre d'adieux depuis si longtemps ! Il est finalement moins déchirant que prévu, mon histoire ayant pris un tournant tout nouveau pour moi aussi. Un full Jungkook donc... Que comprenez-vous ?

Les nouveaux.velles lecteur.ice.s (les ancien.ne.s aussi d'ailleurs) n'hésitez pas à me dire si vous voyez des incohérences parce que je m'éloigne un peu de ce que j'avais prévu et il risque donc d'y en avoir, dans la relation de Jungkook et de Yoongi par exemple... J'espère que ça ne saute pas aux yeux :s

Sachez que vos avis me font toujours autant plaisir, ainsi que vos réactions quelles qu'elles soient donc n'hésitez pas, chaque fin de chapitre est à vous <3

~ tacha' le moulin à paroles.

Pigments [KookV]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant