→ 32. Le parfum de l'ombre qui avait perdu sa lumière

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Un froncement de sourcil avait rendu plus dur le visage de Taehyung lorsqu'un passant qu'il avait croisé et dont l'air qu'il avait dégagé lui avait l'effet d'une bouffée de fraîcheur. Il s'était retourné pour voir la silhouette qui ne lui était pas inconnue s'éloigner dans la rue dépeuplée. Un nouveau froncement de sourcil était venu renforcer le précédent, marquant l'incompréhension.

Taehyung se rendait chez Namjoon. Le mécène était souffrant, une blessure mal soignée s'était infectée et il avait du mal à se déplacer ces derniers temps, préférant recevoir les gens chez lui. Taehyung aimait beaucoup aller chez Namjoon. La minuscule maison qu'il occupait, célibataire, contrastait avec le personnage qui y vivait par sa propreté et sa tenue stricte. Namjoon avait une domestique qui soignait ses locaux et sauvait ainsi son apparence. Ses appartements auraient sinon ressemblé à un taudis, si ce n'est aux décombres d'un navire échoué. Voir le mécène derrière son bureau luisant dont le plateau était de marbre laissait toujours à Taehyung une étrange impression : celle qu'il pénétrait dans un endroit sacré. Il était toujours aussi sensible à la richesse des ornements. L'église de son village avait été le premier lieu riche qui lui avait été donné de côtoyer ; puis il y avait eu pendant plus de deux ans la villa des Park, et à présent le bureau du mécène qui, loin d'être aussi majestueux, laissait quelques étoiles dans les yeux de Taehyung lorsqu'il le quittait.

D'ailleurs, les derniers tableaux de Taehyung étaient des scènes de vie, des commandes fait par de riches gentes ou de simples marchands ayant les moyens de dépenser un peu de leur fortune dans l'acquisition d'un tableau les représentant dans leur bureau. Un nouveau genre que Taehyung s'était approprié à la suite des peintures de cadavres pour lesquelles il s'était fait connaître. On lui avait demandé de peindre des personnalités mortes dans l'exercice de leurs fonctions. Alors Taehyung se déplaçait au chevet des morts, à ses côtés souvent, un prêtre, parfois même un évêque, accompagnant le mort ou le mourant dans son dernier voyage, dans ses derniers instants. Il aimait cette nouvelle fonction qu'encore une fois Namjoon lui avait attribué. Se saisir des opportunités, c'est ce qui lui permettrait de progresser, répétait le mécène. C'était ce que Yoongi n'avait jamais fait, trop réservé, trop humble ou au contraire si dédié à son art qui était la seule chose à laquelle il accordait une valeur, que la marchander n'était pas envisageable, ç'aurait été profane. Mais Yoongi avait disparu. Il y a avait à présent des mois que plus personne ne l'avait vu, que plus personne n'avait entendu parler de lui, et son nom s'était évanoui. Dans le milieu des artisans-peintres et fresquistes on ne parlait plus que d'un parvenu inconnu et on oubliait même de dire qu'il avait été l'élève de Min Yoongi. Min Yoongi, ce nom ne disait plus rien à personne, même l'image de l'artiste débauché, honteux qu'il ne fallait côtoyer, s'était évaporée des discussions.

Pourtant c'était bien l'héritier Park dont l'effluve venait de caresser Taehyung. Ou était-ce son aura ? Mais Taehyung ne parvenait pas à en être certain et, ses toiles sous le bras, il n'avait pu, en faisant volte-face, que heurter une mère chargée de victuailles. Il s'était confondu en excuses, quittant pourtant à regret la silhouette qui, s'éloignant, lui semblait le faire trop rapidement pour être Park Jimin.

La mère de famille était jeune, entourée de marmots et en pleures. Taehyung n'avait pu lui offrir qu'une pièce – celle qu'il aurait dépensée en rentrant pour manger – et la fontaine coulant de ses yeux s'était asséchée. Min Yoongi aurait régurgité à cette vue : Taehyung gérant si mal son argent, comme s'il en avait. Mais c'était un fait, Taehyung avait plus d'argent que Min Yoongi n'en avait jamais eu, car Taehyung ne détestait pas l'argent, et s'il pouvait vivre de son art, c'est que la fortune l'avait enfin pris sous son aile, lui, le pauvre garçonnet de la campagne qui n'avait autrefois même pas sabots à son pied. Taehyung, à la différence de son maître, ne se considérait pas comme artiste mais comme simple artisan.

Pigments [KookV]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant