- Taehyung ! aboya une voix forte et grave. Elles arrivent ces couleurs ? Je ne t'ai pas embauché pour attendre toute la journée que tu moules ces pigments !
Le peintre était devant sa toile croquée, prêt à y poser les première couleurs... dès qu'elles arriveraient du moins. Il commençait à regretter d'avoir embauché ce garçon, il ne l'avait fait que sous la contrainte de Namjoon, son mécène, qui lui mettait beaucoup la pression du fait des demandes croissantes sur ses toiles. Le jeune châtain était arrivé chez lui il y a une semaine, de la campagne. Notre artiste avait laissé Namjoon choisir quelqu'un pour lui, il était de toute façon opposé à l'idée même d'avoir une aide pour son travail, il n'allait pas en plus lui-même se fatiguer à chercher quelqu'un. Était donc arrivé un petit gars maigrichon aux cheveux châtains mi-longs qui bouclaient sur ses oreilles et sa nuque. Il était très maigre lorsqu'il était arrivé, il s'était déjà remplumé un peu sous les bons soins de la servante du peintre, à tel point que s'il paraissait avoir une quinzaine d'années à peine, il faisait à présent plus son âge : presque dix-neuf.
Dans la petite pièce conjointe à l'atelier de l'artiste – cet antre grandiose dans lequel étaient déposées, sous les voûtes, des toiles vides comme des toiles peintes qui sentaient l'huile de lin à plein nez – le jeune homme tremblait alors qu'il mélangeait les pigments tout juste moulus à l'huile épaisse. Sur les traittaux reliés par une planche de bois simple déjà tâchée par moultes couleurs, ses longs doigts inexpérimentés s'affairaient, hésitaient entre les couleurs, les doses et les pots qu'il aurait déjà du amener à l'artiste.
Taehyung était vieux comparé aux autres jeunes employés par les peintres qui commençaient ces activités encore enfants avant d'espérer pouvoir, à l'adolescence, commencer à remplir des espaces de couleurs sur les toiles de leurs employeurs. Taehyung était émerveillé par le monde de l'art : dans son village il passait des heures entière à l'Église, seul endroit où il pouvait observer vitraux et chemin de croix sculptés et peints par des mains bien moins expérimentées et surtout bien moins talentueuses que celles de celui chez qui il avait atterri.
- J'arrive ! répondit-il timidement.
C'était la première œuvre qui allait être peinte par son maître depuis qu'il était arrivé. Ce dernier avait passé la semaine précédente à effectuer tous les croquis nécessaires à sa réalisation, il avait ensuite tracé les courbes de ce qu'il voulait représenter sur la toile et allait à présent la recouvrir de couleurs. C'était le moment tant attendu par Taehyung, toute sa courte vie il avait rêvé de voir comment de simples dessins se transformaient en œuvres majestueuses. Mais à présent il n'était vraiment pas prêt, absolument pas. Loin de pouvoir contempler les gestes de son maître, il allait devoir lui fournir ses couleurs à la demande, refaire les mélanges que le plus vieux lui avait montrés à quelques reprises déjà – mais trop peu pour que tout ce passe bien de l'avis de notre châtain. À présent, il était mort de peur.
Il déboula aussi vite qu'il put dans la cave-atelier de son maître, portant les premières couleurs. Il n'était là que parce qu'il ne coûtait pas cher. Il venait d'une campagne pauvre, d'une famille très nombreuse qui, à présent, ne devait même plus se souvenir qu'il existait, qui s'en souviendrait seulement à la fin de chacun de ses mois de service – s'il survivait déjà un mois ce serait bien, se disait-il – quand quelques pièces de monnaie arriveraient à la ferme pour payer le travail effectué par un des fils, oublié.
Il avait été amené ici par un homme, très grand, mince, vêtu d'une cape verte magnifique et très douce – Taehyung n'avait pas résisté à la tentation de passer ses doigts sur le tissu brillant qu'il ne connaissait pas –, un riche marchand qui l'avait en quelque sorte acheté à ses parents. Taehyung avait eu peur, très peur car cet homme, il l'avait couvert de boue la veille de son départ, alors qu'il chargeait dans la charrette de son père la lame de la charrue amenée à réparer en ville. Ce qui l'avait sauvé avait été ce qu'il croyait depuis toujours être la cause de sa perte future : les gribouillis qui ornaient toutes les planches de la charrette, de sa confection. Ils recouvraient chaque parcelle de chaque planche clouée aux ferrailles de la charrette. Ces dessins réalistes constituaient la petite fierté personnelle de Taehyung. Il avait été battu à de nombreuses reprises à cause de ceux-ci : son père l'avait corrigé un nombre incalculable de fois dès qu'il le surprenait rêvassant, à tracer des lignes sur tout ce qui lui tombait sous la main – cailloux, arbres, planches. Malgré les bleus qui avaient ornés son corps toute son enfance, Taehyung ne pouvait pas s'en empêcher : dessiner était devenu nécessaire, et de jours en jours il s'améliorait, et Namjoon, mécène réputé, l'avait vu. Il avait vu la charrette remplie de croquis lorsqu'il s'était retourné vers le garçon qui venait de le couvrir de boue en laissant tomber la lourde pièce de fer dans une flaque. Prêt à corriger cet impudent d'un coup de bâton, il avait été arrêté par les gravures sur les planches de la charrette, les coups de charbon les recouvrant : un amoncellement de génie. Le jeune garçon s'était agenouillé devant le grand homme, à même le sol détrempé et boueux pour s'excuser. L'homme avait alors relevé, à l'aide d'une main gantée, la tête de Taehyung, passant trois doigts sous son menton ; il l'avait regardé dans les yeux, cet adolescent à qui il donnait alors à peine 15 ans, et lui avait demandé qui avait décoré la charrette. Taehyung n'avait pas compris ce qui lui arrivait. Il n'avait pas non plus compris les mots du riche marchand, sa langue étant trop différente de celle qu'il parlait avec sa famille, vernaculaire, difforme.
Le grand homme en vert l'avait suivi jusqu'à chez lui, sa cape toujours boueuse mais il semblait l'avoir oubliée ; il n'avait pas l'air méchant, il voulait parler à ses parents, avait compris Taehyung. Le jeune garçon, suivit du cavalier, se faisait tout petit : si cet homme demandait de l'argent à ses parents pour sa cape, ils seraient dans l'incapacité de le rembourser, et Taehyung allait mourir cette fois peut-être, sous les coups de son père. Mais le grand homme n'en fit rien : c'est même en proposant de l'argent à ses parents qu'il se présenta devant eux : il voulait repartir avec ce fils mal-aimé, ce désastre de la nature, ce bon-à-rien rêveur qui leur faisait une bouche inutile à nourrir : à presque 19 ans il avait la musculature d'un enfant, il ne serait jamais taillé pour les travaux des champs, jamais taillé pour les travaux physiques et ses parents n'avaient eu, jusqu'à ce jour, aucun moyen de s'en débarrasser. L'enfant avait été échangé contre une bourse de pièces et la promesse de quelques autres qui viendraient tous les mois s'il convenait au travail pour lequel le grand homme le recrutait.
Avant de quitter la ferme ce soir-là, Namjoon avait jeté un dernier regard au jeune homme qui l'accompagnerait le lendemain pour une vie toute nouvelle : il plairait à Yoongi, il en était sur.
L'artiste lui prit les couleurs des mains, un peu agacé car il avait eu à attendre : ç'aurait été tellement plus rapide s'il l'avait fait lui-même. Mais il savait que Taehyung ne s'améliorerait que s'il le laissait faire des erreurs, que s'il le laissait galérer seul : à son âge de toute façon il avait intérêt à s'améliorer vite car, la plupart des autres élèves – ceux d'autres peintres plus connus que Yoongi – commençaient déjà à peindre les fonds, ou à tracer des formes simples pour les fresques.
Yoongi regardait Taehyung repartir vers le coin de l'atelier : Namjoon n'avait pas menti quand il lui avait dit qu'il lui trouverait quelqu'un à son goût : pour le moment le garçon était tout ce qu'il y a de plus obéissant, et de plus il n'était pas désagréable à regarder. Le peintre se dit qu'avec quelques kilos en plus il pourrait presque en faire un modèle pour les enfants qu'il devait dessiner malgré le fait qu'il soit bien plus âgé que l'âge des sujets.
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Bienvenu à tous ! Me revoilà sur une autre fanfic bien différente, bien moins pesante mais du coup aussi moins développée : j'espère que vous passerez un agréable moment de lecture néanmoins !
~ tacha'
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Pigments [KookV]
FanficTaehyung, enfant oublié, aurait pu passer sa vie dans la boue au fin fond d'une campagne, mais il est remarqué pour ses talents par un riche homme venu de la ville qui l'achète à ses parents et le confie au froid Min Yoongi, un jeune peintre talentu...