29. Vérités

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La vérité !

Il faut que je leur dise... tout ceci ne sert à rien !

À rien !

Et ce monde... ce monde, qui continue de tourner !

Notes attribuées à Alleris Bombastus


Il s'éveilla avant de tomber au sol ; tout ceci avait duré moins d'un instant. Il se raccrocha aux fibres de l'air et se remit debout. Son nom brûlait toujours sur son front comme une écorchure récente.

Le Nomenclateur sauta en bas de son tabouret et déclara sur un ton tout à fait égal :

« Vous me devez un nom, monsieur... Christophe. »

Aarto sentait le pire arriver ; il les abandonna tous deux ; sa grosse tête se balançait déjà dans l'escalier comme si elle roulait sur les marches.

« Un nom, répéta Christophe. Mais je ne suis pas satisfait de ce nom.

— Dans ce cas, je peux vous le reprendre. »

Sa petite main griffue, crevassée et poussiéreuse, fusa vers lui avec une étonnante vitesse. Mais le Nomenclateur s'arrêta à mi-chemin, le bras englué dans un espace devenu solide. Il laissa échapper un couinement de panique.

« Je me contenterai de ce que j'ai, asséna Christophe. Je n'ai vu rien de mieux sur vos étagères.

— Vous êtes puissant...

— Aarto vous l'a dit quand nous sommes arrivés. Je suis puissant mais sans but. Je navigue à vue dans les ténèbres. Cela me rend sans doute extrêmement dangereux. »

Le petit homme semblait suspendu à ce bras accroché dans l'air, dans une position inconfortable. Sur ses tempes, ses cheveux grisonnants se mouillèrent de sueur.

« Dangereux... oui... mais il y a des lois, ici-bas, Christophe. Des règles que vous devez respecter.

— Je suis de la race des tyrans. Tant que personne ne se trouve au-dessus de moi, je suis la loi. »

Le Nomenclateur décrocha son bras de son épaule, dans un foisonnement d'étincelles. Christophe représentait donc un tel danger qu'il était prêt à sacrifier son intégrité, démonter sa forme astrale sans garantie de la reconstruire plus tard. Il traça une torsion d'espace pour s'enfuir ; un faisceau d'Arcs traversant la muraille de la tour. Mais l'intention avait précédé le geste ; Christophe, qui faisait déjà le siège de son esprit, rompit la torsion. Le Nomenclateur fit un bond ridicule et s'écrasa parmi ses étagères.

Il s'avança vers lui, le ramassa parmi les éclats de verre et le souleva de terre à distance, l'accrochant à même la réalité ainsi qu'un manant cloué au pilori pour l'exemple.

« Il paraît que vous avez tous ici-bas une vérité capable de vous détruire. Je devine la vôtre. »

En guise de dernière défense, le Nomenclateur essaya de parler, mais Christophe arracha les Arcs qui transmettaient le langage de sa forme astrale au reste du rêve, le contraignant au silence de l'accusé face à son verdict.

D'un geste, il rabattit ses cheveux en arrière, découvrant un front plissé, marqué de multiples cicatrices semblables à la sienne – toutes raturées comme un tatouage repris cinquante fois, chaque fois effacées par la suivante.

« Vous n'avez pas de nom. Vous les collectionnez et vous en faites commerce parce que vous en recherchez un. Mais aucun nom ne veut de vous ! Aucun ne s'accroche assez longtemps. C'est une symbiose qui ne fonctionne pas. Ils dépérissent et meurent. »

Nolim I : l'Océan des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant