44. Armada Secunda

17 8 6
                                    


Sans doute Kaldor avait-il préparé le terrain, modelé les esprits pour qu'ils fassent de loyaux servants. Nous préférons penser qu'il avait exposé la vérité, toute la vérité, et que cette Armada grandiose s'était imposée à Rems comme une nécessité.

Adrian von Zögarn, Histoire de l'Omnimonde


La première réaction d'Ek'tan fut la colère. Cette même colère tenace qui étreint un homme plongé dans un pays étranger, en lequel il ne sait retrouver son chemin. Quand on entend un langage qui n'est pas le nôtre, on se croit toujours moqué. La commandante se croyait sincèrement moquée pour son ignorance et son mal de tête reprit aussitôt.

Elle sortit de l'habitacle en un bond. Plusieurs ingénieurs du centre attendaient derrière la cloison métallique, semblables à tous ces conseillers ministériels qui, au soir de la campagne perdue d'avance, rôdent près du bureau du président et écoutent à sa porte. Ils savaient déjà tout, mais s'intriguaient des réactions de l'officière.

Elle les pétrifia sur place d'un regard sombre.

Tuyn reparut derrière elle, craignant sans doute d'avoir mal agi.

« Vous ne voulez pas voir...

— Je ne peux pas en voir davantage. Dites-moi tout, ou ne me dites rien. J'aurai préféré ne rien savoir, plutôt qu'imaginer que la vérité existe, et qu'on la garde à peine hors de ma portée ! Qu'on m'appâte comme un crabe...

— Il faut que vous retourniez voir l'amirale Flaminia » proposa Tuyn en dernier recours, comme un fonctionnaire à qui la situation échappe et qui se tourne aussitôt vers son supérieur. Ce qui en disait déjà long sur les activités du centre : tous ces gens ici opéraient aux ordres de l'amirale elle-même. Ek'tan entrait dans le noyau dur des opérations de l'Entente.

« Je n'ai plus rien à dire à Flaminia. »

Elle tourna des talons avec panache. La chute n'en fut que plus désagréable ; car l'amirale elle-même se tenait devant elle, appuyée sur une canne, un mince sourire sur son visage – celui qu'ont les professeurs à l'égard de leurs élèves brillants, lorsque ceux-ci commettent une erreur.

« Votre irritation est légitime, commandante Ek'tan, mais vous devez la laisser passer. Venez. Nous avons à nous parler.

— Je ne comprends pas, amirale. Que suis-je pour vous ? Pourquoi suis-je ici ?

— L'Entente est une immense machine, Ek'tan. Une machine jusqu'à présent incomplète. Il lui manque le composant essentiel : une pilote. »

Flaminia fit un geste du bras. Sa cape blanche et ses insignes dorés flottèrent quelques instants ; Ek'tan se sentit attirée en avant, attirée par son regard contrasté comme une force magnétique. L'amirale se fit guider jusqu'à un bureau, dont les occupants furent aussitôt expulsés. Elle invita Ek'tan à prendre place en face d'elle.

« Connaissez-vous la légende orale ? Les aventures de la déesse Orval ?

— Dans les grandes lignes.

— Oubliez tout. Ce sont des contes pour enfants inventés de toutes pièces au septième siècle de notre ère. La vérité n'y transparaît que par accident. La légende parle de géants endormis dans les fonds marins. Vous venez d'en avoir un aperçu. La légende parle d'un dieu du destin se nommant Kaldor. Voici le personnage qui nous intéresse. »

L'amirale Flaminia, la personne la plus puissante de Stella Rems, se laissa aller à un sourire.

« Vous m'aviez demandé : que faisons-nous ? Je vais vous dire ce que nous avons fait. Cette histoire vous éclairera à plus d'un titre. Tout commence il y a vingt siècles. Notre planète a été visitée par les envoyés d'un dieu nommé Kaldor. »

Nolim I : l'Océan des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant