52. Ce qu'est le réel

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Personne ne possède la Vérité, de même que personne ne possède le vent ou l'océan.

Caelus, Archives de la bibliothèque


« Docteur Shani ? »

Le docteur quasiment chauve se balançait sur ses deux pieds, gêné. Il n'avait plus rien du dictateur hautain des précédents jours ; il se grattait compulsivement la barbe de la main droite et fouillait sans la poche de sa blouse blanche.

« Monsieur... Christophe.

— Que voulez-vous ?

— Monsieur Christophe, je crois que vous rêvez.

— Oui, cela m'arrive.

— Non, je veux dire... maintenant. »

Christophe tenta un regard en arrière. Des gouttes de ciment blanchâtre tombaient du plafond en une flaque au centre de la pièce, qui creusait le parquet. Cette structure avait reposé sur la suspension de son être-à-soi ; elle se mettait à fondre.

« Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

— Cela m'est apparu comme une évidence. Mais vous le saviez déjà, n'est-ce pas ? Vous n'êtes pas quelqu'un que l'on peut enfermer dans un songe. »

Un éclair s'abattit entre eux. L'illusion basculait ; Christophe cessa de voir Shani comme un personnage intradiégétique, mais comme une figure, un aspect de sa personnalité qui avait pris les traits du véritable Shani.

« J'espère que cette introspection vous a été utile, dit l'homme, pris d'une incoercible reculade de deux pas, car nul ne sait dire au revoir et prendre acte de son départ, a fortiori les aspects impermanents de nos mondes intérieurs.

— Adieu, dit Christophe.

— Quelqu'un veut encore vous voir » ajouta Shani.

Il disparut dans le couloir, s'envola en même temps que les lames de parquet et les murs, dont les pierres prises dans des rivières de ciment se défaisaient comme des mailles de laine.

« Je comprends désormais ce qu'est le réel » déclara Christophe à haute voix.

Les murs de son appartement s'étaient éloignés à l'infini ; le plafond fragmenté en constellations brumeuses ; le sol étendu en maillage de lignes abstraites, une simple toile d'Arcs qui le retenait encore en lui-même, dans son rêve.

Christophe ne souhaitait pas encore se réveiller.

Son bureau au milieu de la pièce avait fondu, toutes ses arêtes lissées en une surface uniforme, organique, sur laquelle flottaient les lignes du bois. Ce pilier aqueux ne supportait plus qu'un seul objet, le seul élément de son rêve qu'il n'avait pas lui-même apporté, mais qui lui venait de Stella Medius, de son gardien Arès, des souvenirs de Kaldor.

Le livre perdu, arraché à la bibliothèque de Caelus, qui racontait l'histoire du Peuple Solitaire.

Des détonations retentirent au-dessus de lui ; le ciel intermittent se teignait de rouge et menaçait de s'effondrer à tout moment. Christophe tendit la main vers le livre ; aussitôt, Écho apparut dans l'encadrement de sa porte, un banal rectangle assemblé en tiges de fer.

« Lisons ensemble, proposa-t-elle.

— Je sais ce qu'est le réel, lui annonça Christophe, avec fierté et amertume. C'est là que l'absence demeure. »

Sa muse et sa confidente prit les devants, s'approcha du livre et déroula ses pages, qui s'effaçaient à vue d'œil.

« Où en sommes-nous ?

Nolim I : l'Océan des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant