41. Flaminia

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(2200 mots)

Elle venait tout juste de passer la rangée de colonnes, qu'un homme en uniforme l'abordait déjà.

« Mes hommages, commandante Ek'tan. Puis-je prendre votre valise ? »

Ek'tan analysa l'aide de camp, un jeune engagé au visage frais, délicat, pur produit d'une société urbanisée, qui n'avait connu ni les rigueurs du soleil, ni celles de l'eau salée. Pour naviguer sur les mers australes à bord de la flotte de l'Entente, nul besoin d'être un bon nageur.

« Non, dit-elle sèchement, rabattant son bras en arrière pour joindre le geste à son monosyllabe.

— Très bien, dit le caporal sans paraître surpris ou inquiété. L'amirale Flaminia va vous recevoir dans quelques minutes. Je vais vous montrer le chemin.

— Je connais déjà le chemin. »

Elle sentit son sourire se crisper.

« Bien. Je vais donc vous laisser. Je serai dans le bureau des secrétaires. N'hésitez pas à m'appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit. »

Le caporal recula de quelques pas, esquissa un salut et monta quatre à quatre les marches d'un autre très bel escalier de calcaire vernissé. La lumière de Sol Rems projetait des ombres immenses et menaçantes sur le dallage de la grande entrée. Ek'tan promena son regard sur les affiches de l'Entente étalées sur de grands panneaux de liège, empilées les unes sur les autres, rivalisant de slogans pour inviter à rejoindre la force militaire internationale de Rems. Un barbu manchot était assis à une table, entre deux pancartes appelant à la générosité des remsiens pour les vétérans de guerre ; ses marmonnements grincheux formaient comme un bruit de fond pour quelques rares claquements de bottes traversant parfois les couloirs.

Il ne remarqua pas le passage d'Ek'tan, ni la pièce qu'elle glissa dans sa boîte en carton.

La commandante manqua de perdre l'équilibre en montant l'escalier. Elle n'était pas concentrée. Elle commençait à avoir faim ; la lumière puissante de l'aurore remsienne lui montait à la tête ; elle ne parvenait pas à ôter de son esprit les yeux en amande du félin.

Le bureau de l'amirale Flaminia était le seul dont la porte pût être entrouverte à une telle heure du jour. Ek'tan s'arrêta à mi-chemin. Aucun des policiers militaires en faction, immobiles tels la statue d'Orval, n'avait fait mine de vérifier ses papiers. Sa visite avait été signalée de longue date, planifiée méticuleusement, comme tout ce que faisait l'amirale Flaminia.

« Oh, vous voilà. »

Le caporal fit un signe de la main à Ek'tan. Il entrouvrit la porte du bureau, échangea quelques mots avec son occupante, puis invita la commandante à entrer.

Après ses reflets puissants sur les dalles polies du couloir, la lumière s'assagit en aplats orangés, qui dévoraient les murs du bureau. Ek'tan allait esquisser un salut formel, mais avant même qu'elle claque des talons, Flaminia lui ordonna de s'asseoir et de fermer la porte.

L'amirale leva ensuite le nez de ses notes.

À en juger par les piles de dossiers déjà ouverts, sa journée devait avoir commencé depuis plusieurs heures. Contrairement à ce que l'on croit, toutes les personnes haut placées ne mènent pas ainsi des existences nocturnes et recluses, agitant la plume et l'encrier au plus fort de la nuit ; d'ailleurs, celles qui s'en targuent ne sont pas toujours des exemples à suivre. Comment un Napoléon mis à bout par ses insomnies pourrait-il remporter une campagne ?

« Mes hommages, amirale.

— Bonjour, commandante. »

Le mur gauche du bureau était occupé par une bibliothèque chargée de livres de stratégie militaire et de mythologie remsienne ; car les deux genres se mariaient fort bien dans ces épopées lyriques, ces légendes orales que les aèdes portaient autrefois d'un archipel à l'autre, à la faveur des grandes expéditions annuelles.

Nolim I : l'Océan des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant