55. Remonter

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Alors le dieu unique, l'Aton, étendit sa main vers les cieux et s'empara des étoiles.

Voyez, clama-t-il, je suis l'Aton, votre seul dieu, et toutes vos croyances m'appartiennent.

Sa voix montait comme le roulement des vagues et retentissait comme le tonnerre.

Entendez, répéta-t-il, je suis l'Aton et j'ai abattu tous vos anciens dieux, que j'ai remplacés. L'univers est mien !

Mais l'Aton vit qu'une lueur émergeait de l'abîme, pour répondre à son défi.

Qui es-tu, misérable insecte, que j'écraserai de ma fureur, afin de devenir le Temps ?

Je suis Kaldor, répondit-il, protecteur de ces mondes. Ce sont les propres mains de mes créateurs qui les ont placés sur leur course.

Assez, futile vermine. Je suis le chaos et l'ordre, cet univers est donc mien à construire et à détruire.

Mensonge, dit Kaldor. Tes promesses sont vaines. Ta vérité est un miroir d'arrogance. L'univers que tu comptes bâtir n'est qu'un songe. Vois, Aton, tous les mondes arment ma main. Tu es une étoile ? Je dispose déjà de milliers d'étoiles !

Anonyme


« Te regarder, petit homme ? »

Des déchirures zébrèrent l'espace et des yeux innombrables en émergèrent, d'où coulaient des filets d'une substance rouge et épaisse, entre la lave et le sang. Leurs iris noirs convergeaient tous sur Christophe, déjà jugé par le dieu-soleil, déjà remis dans le rang de son empire futur, déjà classé parmi les adversaires sans consistance qui se levaient sur son chemin tels les brindilles tenaces d'un champ d'herbacées.

« Que me veux-tu encore ? J'ai tué celle qui t'accompagnait. Veux-tu te venger ?

— On ne peut pas tuer Écho sans me tuer, moi.

— Si je ne l'ai pas tuée, où est-elle ?

— Elle me reviendra. »

Christophe se campa sur ses deux pieds, raffermit sa prise sur la réalité ambiante. Il dessina plusieurs Arceaux pour bloquer le chemin escompté d'Aton ; ce ciel tant attendu se déforma en mille mirages, et les étoiles qui l'occupaient se démultiplièrent. Des ombres floues rôdaient désormais autour d'eux sur la terre gelée de Medius.

Aton émit un léger soupir.

« Sans doute, tu appartiens au cercle des immortels. Mais tu n'as rien des prodiges que nous avons connu en d'autres temps. Dis-moi donc... Kaldor est-il encore en vie ?

— Il t'attend, confirma Christophe.

— Nous avons appelé cette rencontre de nos vœux. Nos vœux ont été exaucés. Il est temps de terminer ce que nous avons commencé tous les deux ; de mettre fin à notre querelle. Je vais abattre Kaldor. »

Il fit un pas ; sa jambe se prit dans une maille d'Arcs et fut arrachée de son corps. Il trébucha et s'écrasa contre terre, roulant sur une de ses ailes, dont l'os fin éclata dans un bris de verre, et la voile se déchira dans le sens de la longueur.

Furieux, Aton se reprit ; une nouvelle jambe émergea de son corps, protubérance ignoble de flammes gélifiées, sur laquelle il prit appui. Des lances de feu jaillirent de ses mains, de ses poignets, atteignant des Christophe de pacotille, des illusions aussi nombreuses que les lampions d'une fête des morts. Face à cette marée de sauterelles, le dieu-soleil perdit patience. Dans un rugissement inhumain, il ouvrit les artères de son énergie intérieure.

Une onde de chaleur vaporisa la glace et rabota le sol d'un demi-mètre ; des gouttelettes de verre fondu retombèrent tout autour de Christophe, arc-bouté contre un bouclier d'Arcs imperméable. Le dieu marcha sur lui et frappa du poing plusieurs fois, jusqu'à ce que la structure cède. Il observa Christophe, encore debout, mais incapable de marcher ni de résister davantage, pris au piège de ses propres Arcs.

« Tu es un piètre mage d'Arcs, jugea-t-il, indigne de la mémoire de notre Monde Solitaire. Adieu. »

Il écrasa son poing dans sa forme astrale, or celui-ci se découpa en deux sur une dernière torsion invisible qui encerclait Christophe. Aigri, Aton ravala son bras, frappa de nouveau à la tête ; un tintement métallique retentit ; une lame de fer avait bloqué ses doigts de feu.

Écho était revenue.

« Pars, ordonna-t-elle. Je te rejoindrai.

— Que dois-je faire ?

— Retrouve Kaldor ! »

Proche de l'engourdissement, affaibli par sa blessure à la poitrine, Christophe tendit néanmoins deux torsions autour de lui, comme la corde d'une fronde, et se propulsa vers l'espace. Il tira sur les fils invisibles qui tenaient tous ses derniers Arceaux, dont les formes rigides s'effondrèrent sur Aton.

Une bouffée de chaleur et de lumière creusait son chemin derrière lui. Il accéléra. Le passage brutal du rêve au réel malmenait sa forme astrale ; quelques phalanges se détachèrent de ses mains, lui laissant une sensation de froid persistante.

Épuisé par la remontée, assommé par les coups du dieu-soleil, sa conscience recula dans cet entre-deux qui se trouve aux frontières de nos mondes intérieurs.

Il flottait dans un océan sans limite.

Des rayons de lumière perçaient la surface de l'eau, qui traçaient des colonnes azurées jusqu'à deux mètres de profondeur.

Au-dessous de lui, des algues marines oscillaient au gré du courant.

L'obscurité des abysses, la lumière brûlante de la surface, ces deux alternatives extrêmes ne lui convenaient pas plus l'une que l'autre ; la solution était de demeurer ici éternellement, flottant sur la frontière de ses rêves, sans jamais les vivre ni les réaliser.

Seul, donc.

Mais cette solitude n'était difficile qu'un temps. Après ce temps, on s'y habituait. C'était une forme de sevrage.

Et Christophe avait tout le choix d'imaginer les profondeurs et la surface, du moment qu'il ne s'y rendait pas. Il pouvait y placer l'objet inaccessible de son désir, et cela lui convenait.

Une autre forme humaine flottait en face de lui.

Il décida de fermer les yeux pour demeurer dans son rêve.

Il ne voulait plus souffrir ! Pas encore ! De tous ces océans, seul celui-ci était vivable.

Une main se referma sur son poignet. Il frémit. Il ne voulait pas repartir d'ici !

Nous mettons un temps infini à trouver le lieu de notre retraite, tel ce voyageur célèbre qui, après avoir arpenté les montagnes et les steppes, découvrit que le plus bel endroit de ce monde n'était autre que celui qu'il avait quitté trop tôt.

Alors, pourquoi partir ?

Une main caressa son visage et des doigts se posèrent sur ses yeux, pour les inviter à s'ouvrir.

Christophe céda.

Il découvrit un visage énigmatique encerclé par une forêt de cheveux noirs. Toujours différente de son plus proche souvenir, car elle était elle-même un cheminement, Aléane tira légèrement sur son poignet. Il reconnut en elle quelque chose de ce peuple fabuleux, ce peuple de l'étoile solitaire, qui avait contrecarré la volonté de ses dieux, qui était remonté de son enfer jusqu'aux portes de l'Omnimonde.

Aléane désigna la surface d'un geste, à la fois souriante et déterminée.

Viens.

Nolim I : l'Océan des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant