L'histoire de Sam

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-Châtelaine? Est-ce que tu dors?

Je me tourne sur le dos avant de me relever un petit peu. Devant moi se tient un Sam torse nu, les cheveux détachés (ça faisait longtemps que je ne les avais pas vus détachés de leur habituel chignon détraqué).

-Dormais.
-Désolé.
-Qu'est-ce qui a?
-J'arrive pas à dormir.

Cette situation est ridicule. Je le regarde, les yeux vides, ne sachant pas quoi répondre. J'ai l'impression d'être ma propre mère quand je n'arrivais pas à dormir. Qu'est-ce que je suis supposée lui dire? Ma mère me faisait toujours grimper entre elle et papa, mais je ne le ferai pas dormir dans mon lit, ce serait dépasser les limites. J'ai un copain après tout, et je suis presque sûre qu'il ne sauterait pas de joie s'il entendait que j'aie dormi avec un autre, spécialement Sam.

Je tire sur la petite chaîne qui ouvre ma lampe de chevet. Là, comme ça, dans la faible lueur orangée de ma lampe, Sam est magnifique. Je le vois sous un autre jour: vulnérable.

Je me lève de mon lit, tire ma robe de chambre de ma chaise et l'enfile.

-Viens, je vais te réchauffer du lait.

Je passe à côté de Sam, qui me suit tel un enfant et nous montons les escaliers jusqu'à la cuisine. Une fois rendus, je verse du lait dans une casserole, ajoute un peu de cannelle ainsi que du miel et je dépose la casserole sur le feu. Après avoir posé le couvercle dessus, je me tourne vers mon coloc qui s'est assit sur le tabouret de l'îlot.

-Qu'est-ce qui se passe? Le lit n'est pas confortable?
-Non, non c'est pas ça, le lit est parfait, vraiment. C'est juste que je pense trop.
-À quoi?
-Mes parents.
-Qu'est-ce qu'ils ont tes parents.

Sam lève ses yeux sur moi. On dirait qu'il va pleurer.

-Sam? Est-ce qu'ils sont... morts?
-Non. Techniquement oui.
-Quoi?
-Ils ne sont pas morts dans le sens propre du terme. Mais c'est tout comme. Je ne leur parle plus, ça doit faire au moins huit ou neuf ans maintenant.
-Comment ça?

Au moment où Sam allait répondre, ma mère fait son entrée dans la cuisine. Ses yeux sont tout petits, elle vient clairement de se réveiller.

-Qu'est-ce que vous faites? Chuchote-t'elle agressivement.

Ma mère n'aime pas qu'on interrompe son sommeil.

-Désolée maman, on n'arrivait pas à dormir, on fait réchauffer du lait. On va se taire, retourne te coucher.

Elle pointe la lumière au dessus du four avant de fermer celle qui pend au dessus de l'îlot, celle qui est plus puissante et qui illumine toute la pièce. J'allume celle au dessus du four. Elle est faible, mais suffit à nous éclairer. J'enlève la casserole du poêle et verse le lait dans une tasse, avant de la tendre à Sam. Il me sourit comme pour me remercier et boit tranquillement. Nous retournons dans le sous-sol après avoir fermé la lumière. Je laisse mon colocataire se réinstaller dans son lit et vais m'installer dans le mien. Je suis épuisée.

Le lendemain matin, c'est à mon tour de réveiller Sam, mais je suis plus gentille et je lui apporte le déjeuner au lit. Nous nous asseyons dans son lit pour dévorer notre déjeuner ensembles.

-Qu'est-ce que tu allais dire, hier, à propos de tes parents?
-Je n'est pas vraiment le goût d'en parler en ce moment, Cha, surtout avec le beau déjeuner que tu nous a préparé.
-C'est ma mère qui l'a fait.
-Surtout avec le beau déjeuner que ta mère nous a préparé.
-Tu sais que tu peux tout me dire? Tu peux me faire confiance.

Il pose une main sur la mienne et me regarde dans les yeux.

-Oui je sais ça. Merci. Mais c'est une longue histoire. Un peu compliquée.
-J'ai tout mon temps.
-Pourquoi tu veux tant savoir?
-Parce que je veux te connaître Sam, et cette histoire fait partie de toi.

Il soupire avant de prendre une grande respiration.

-Je suis le malheureux résultat d'un viol. Mon père a menacé ma mère de la tuer si elle en parlait à qui que ce soit. Elle n'avait pas le choix de rester avec lui. Ils se sont mariés, pour faire bonne figure, et ma mère m'a eue, même si elle ne me voulait pas. 12 ans plus tard, ma mère a recommencer à parler à sa soeur dans le dos de son mari. Ça faisait quand même très longtemps que mon père avait obligé ma mère à couper tous les ponts avec sa famille. Ma mère a tout raconté à ma tante et elles se sont mises ensembles pour planifier le dénoncer. Ma mère a pris des photos des dommages que mon père lui faisait quand il la battait. Elle a enregistré les fois où il la menaçait de mort. Quelque mois plus tard, mon père s'est fait arrêté. Ma mère est partie habiter chez sa mère. Ma tante a pris soin de moi. Prendre soin de moi, c'est bien dire. Elle veillait à se que je ne meurt pas et c'est tout. Elle s'en foutait de moi et je la comprends. Après tout, je suis le souvenir du viol de sa sœur. Personne ne veut de ça. À dix-huit ans, je suis revenu du cégep et mes valises étaient faites. Heureusement que je travaillais dans ce temps-là, j'ai réussi à me trouver un appartement. J'ai arrêté l'école pour travailler. Pendant un an seulement. Mais je ne parle plus à mes parents. Mon père est en prison et ma mère est quelque part dans le monde avec un mari qui la traite bien et des enfants qui ne lui rappellent pas ce qu'elle a dû vivre. Enfin, c'est ce que je lui souhaite.

Je suis estomaquée par l'histoire de Sam. C'est horrible. Je le serre dans mes bras très fort.

-Je suis désolée Sam. Ça a dû être terrible.

Il hausse les épaules. Il s'est habitué à l'idée de vivre sans parents, je crois.

-Toi?
-Moi?
-C'est quoi ton histoire?

Je me renfrogne, je recule.

-Quelle histoire?

Je sais très bien quelle histoire.

-Celle qui te fais paniquer souvent.
-N'allons pas là.
-Mais, Cha, cette histoire fait partie de toi, et moi je veux te connaître.

Je me lève et me dirige dans ma chambre, commençant déjà à hyperventiler. Je n'ai pas envie d'avoir une crise de panique en ce moment.

En Coloc avec mon Meilleur EnnemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant