TRY BABY

Chapitre 12- Tadzio

— Il n'est pas question que je monte sur ce truc

Debout devant la moto de Mike, dans le garage dans laquelle elle est stationnée, ma copine la Reine des glaces vient de prononcer ces derniers mots d'une voix inflexible.

Je dois donc essayer de la convaincre sans la prendre de front. Pour ce que j'ai pu en voir dans les dernières semaines, elle est plutôt du genre obstinée-combative. Qui n'attendra pas de devoir se défendre pour attaquer.

Mieux vaut donc y aller doucement. Voire louvoyer.

— C'est comme ça que je suis venu et que je me proposais de vous emmener dîner.

— Non

— Ok. Non ... Je note que vous n'êtes pas complètement enthousiaste.

Elle me dévisage avec l'air de penser que je me paie sa tronche. C'est évidemment le cas mais je ne me laisse pas impressionner pour un sou.

—  Vous qui voulez tellement rester discrète... Sachez que la moto et le casque intégral sont probablement les seules manières de nous éviter d'être repérés trop vite par un paparazzi.

Un silence me répond et je sens que je l'intéresse. Enfin, j'espère.

Dans le doute, je poursuis.

— Le métro, on ne peut pas l'envisager. Je n'ai même pas de casquette avec moi pour me cacher et je ne porte pas de hoodie aujourd'hui.

Ses lèvres se pincent à la manière d'une directrice d'école pas commode. Sauf que les siennes, même pincées, sont vraiment très charnues et qu'elles m'inspirent beaucoup plus.

Une directrice d'école très très très bandante donc.

Putain, je suis tellement débile. Elle est gay.

Gay gay gay.

Certes, mais ça n'enlève rien au fait qu'elle est très excitante.

Au lieu de continuer à me parler à moi-même, comme un type totalement perturbé par une Serbe canonnissime et impressionnante, je me concentre pour argumenter, parce que je sais par avance ce qu'elle va m'objecter.

— Pour que vous compreniez bien l'enjeu : la dernière fois que j'ai pris un taxi, le chauffeur a feint de ne pas me reconnaître mais je suis sûr que c'est lui qui a monnayé l'adresse du resto dans lequel j'ai dîné aux paparazzis. Ceux qui ont ensuite vendu les clichés de moi et d'une copine à tous les tabloïds du coin.

Elle n'a toujours pas bronché. Mais le sourcil qu'elle avait froncé est revenu à la normale.

— Alors on pourrait marcher jusqu'au restaurant de notre choix en baissant un peu la tête, c'est vrai. On peut peut-être même s'en sortir sans encombre. Curieusement, c'est souvent ce qui passe le mieux, de se balader dans des endroits improbables sans vraiment se cacher parce que personne ne s'attend à vous croiser. Mais sachez que si on se fait repérer, ce que vous avez vu à la clinique, quand les fans et photographes m'attendaient, vous semblera vraiment ridicule, croyez-moi. Pas sûr que vous aimerez vous faire prendre en étau entre le resto et la rue, quand on tentera de sortir du restaurant, au milieu de la foule des passants et des touristes. Surtout par des fans qui vous détesteront d'être avec moi et alors que je ne suis pas accompagné par mon garde du corps.

Je n'exagère même pas. On a vraiment l'habitude de sortir escortés, même si on est trois beaux bébés plutôt musclés. Si, depuis le temps, c'est devenu une partie intégrante de ma vie, je donnerais beaucoup pour que cela ne soit pas le cas. Et je sais, sans en douter le moins du monde, que Svetlana ne ment pas, contrairement à ces filles qui pensent me berner mais n'aspirent qu'à ça : elle ne veut être exposée. Elle ne recherche pas son quart d'heure de célébrité. Et elle n'a aucune envie d'être vue avec moi.

— Du coup, faites-moi confiance si vous en êtes capable : la moto et le casque intégral sont vraiment la meilleure option. Et ensuite, pour commencer, on pourrait se balader dans un lieu tellement touristique qu'on ne pensera même pas que je puisse avoir l'idée de m'y attarder. Ça nous permettra de réfléchir à ce qu'on veut pour dîner. Et puis, je suis certain qu'avec tout le boulot que vous avez, vous n'avez même pas pris la peine de vraiment découvrir New-York.

Même si j'ai l'impression que j'ai touché juste, je contracte discrètement mes mâchoires, attendant sa réponse.

Elle soupire.

— Admettons que je dîne avec vous ce soir.

Je ne peux pas m'empêcher d'esquisser un sourire. Je garde le poing levé pour plus tard, cela dit.

A voir le regard sévère qu'elle me décroche, je fais bien apparemment.

— J'ai dit « Admettons », Steadman. Pas que j'acceptais. Parce que... Bref...J'ai toujours refusé de monter sur une moto.

Cette fois, j'attends prudemment qu'elle poursuive.

— J'ai vu trop d'accidentés quand j'ai commencé mon internat de chirurgie en traumatologie cardiaque. Croyez-moi (je vois bien qu'elle singe délibérément mes propos), vous n'avez pas envie que ça vous arrive.

— Ecoutez... Je ne suis pas suicidaire et je n'ai pas plus envie que vous d'avoir un accident. J'ai l'habitude de circuler en moto et promis, on roulera doucement.

Je lui fais un clin d'œil.

— Comme ça vous pourrez profiter plus longtemps de mon corps de rêve.

Même en faisant le pitre, je n'ai pas l'impression de l'amuser en fait. Elle est tellement crispée que j'hésite à tout remettre à demain.

— Même à cette vitesse, ce ne sera que l'affaire de quelques minutes. OK ?

Là non plus, je ne peux pas vraiment affirmer que le soulagement la gagne.

Pas vraiment, non.

Je contemple les traits remarquablement fins de son visage, ses mâchoires un peu trop contractées malgré sa volonté évidente de n'en rien montrer. Elle est marrante, cette fille, à ne vouloir montrer aucune faiblesse.

Mon regard glisse sur sa tenue. Un perfecto qui imite du mouton retourné, une énorme écharpe écrue qui cache désormais le col montant de sa blouse fluide et un peu ample.

Je remonte vers ses pupilles, lui adresse un sourire compréhensif, poursuit mon analyse : jean extrêmement moulant qui révèle ses cuisses longilignes mais galbées, cuissardes plates d'un gris sombre presque kaki.

Je pourrais lui faire un compliment sincère parce que c'est aussi joli que bien porté, même si je regrette ses sempiternelles robes.

Mais je reporte à plus tard l'étape des mots sucrés pour achever de la persuader.
— En plus regardez-vous, vous portez la tenue idéale pour un baptême à moto. On y va, Miss Serbie ?