TRY BABY

Chapitre 16 - Svetlana une semaine plus tard

— Bon aniiiiiiiversaire ma puce !

A l'écran de mon smartphone, le sourire de ma mère se fait géant pendant qu'elle hurle avec mon père dont l'expression est tout aussi joviale.

Je suis dans un taxi.

Evidemment, j'ai envie de dire. Comme d'habitude, je pourrais dire également, puisqu'on dirait bien que c'est ça, en vérité, ma nouvelle vie. Soit j'opère, soit je traverse Manhattan au pas de course entre la clinique et mon appartement.

Soit je discute avec mes nouveaux meilleurs amis. Les conducteurs de voitures jaunes.

Dans la mesure où ta voiture jaune t'emmène vers une des soirées caritatives les plus en vue de la saison, tu exagères un peu le néant de ta vie sociale, non ? Et puis, regarde : Vikash qui te sourit à travers son rétroviseur a eu une existence plutôt rocambolesque avant de conduire son taxi, non ? Tu apprends toujours quelque chose, à échanger avec eux pendant ces quelques minutes de courses.

— On est désolé de ne t'appeler que maintenant, ma chérie, mais on voulait absolument te parler et te voir tous les deux ensembles ! Je ne travaille pas aujourd'hui mais ton père faisait cours à 8h, donc impossible de t'appeler avant ton réveil avec le décalage horaire.  Alors, comment tu vas aujourd'hui ? Prête pour ta soirée, ma puce ? Fais bouger ton téléphone pour que je vois combien ma fille est bien habillée !

Je fais complaisamment glisser mon téléphone de mon visage vers mon buste pour que la belle femme brune qui me dévisage puisse au moins deviner à quoi ressemble le haut de ma robe. Mon manteau léger est soigneusement plié à côté de moi sur la banquette parce qu'il fait un peu trop chaud dans l'habitacle.

Ma mère s'exclame en m'observant et, au fond de moi, la petite fille que j'étais ressurgit pour se rengorger. Ma mère est une tueuse et a fait en sorte qu'on le soit aussi, mon frère et moi. Des êtres « complets », nous a-t-elle seriné depuis qu'on a été en âge de le comprendre. Ce qui, dans son esprit, signifie : cultivés, bosseurs, fiables, mélomanes, sportifs. Et autres qualités qu'elle jugeait indispensables pour un être humain accompli. Au point de décider que, puisque la Serbie, en guerres successives, était pour elle une entrave à cet objectif quand on était petits, elle préférait nous protéger. Même en nous aimant de loin.

Ce qui a consisté à accepter des missions dans les Emirats arabes unis et autres destinations lointaines recrutant alors du personnel qualifié pour y gagner très correctement sa vie comme ingénieure sur des plateformes pétrolières. Et pour payer nos pensionnats privés en France, cette terre des droits de l'homme et de la culture qui, à tort ou à raison, la faisait alors tant rêver.

Mon père, professeur de lettres brillant mais plus réservé, a toujours soutenu ses décisions et même mobilisé certaines associations avec des confrères français pour veiller à notre accueil. Selon les cas, il l'accompagnait ou l'attendait dans notre belle Serbie, meurtrie par les conflits que les pacifistes qu'ils sont ne comprenaient pas.

Elle a fait tout ça pour nous et je crois qu'on lui a rendu son investissement plus qu'elle ne l'espérait puisque mon frère a un job de dingue dans la finance à Londres et que mon CV à moi est plutôt bien rempli aussi.

Même si en ce moment je dépéris un peu dans une des villes les plus attirantes du monde.

Tant que tu le fais brillamment...

N'empêche qu'il fût un temps où, seule dans mon lit à l'internat, j'aurais donné beaucoup pour un peu moins d'éducation et un peu plus de câlins.

— On va venir te voir cet été, ma fille ! Tu nous feras visiter ta ville !

Je me retiens de hausser les yeux au ciel en écoutant mon père. Si seulement New York était vraiment ma ville. S'il savait que je n'avais commencé à la visiter en touriste, en dehors de mon circuit boulot-dodo, que tout récemment...