Chapitre 3- Svetlana

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L'opération de Papi Steadman s'est bien passée. Je n'aurai pas la prétention d'ajouter « évidemment », car chaque opération présente un risque, même lorsque tous les marqueurs sont au vert. L'aléa thérapeutique, comme on dit. Ou aussi, en plus parlant : le destin, la faute à pas de chance, le karma...

Je le regarde partir en salle de réveil pendant que je me prépare à opérer le patient suivant.

Depuis que je travaille à New York, j'ai une nette amélioration de ma qualité de vie, - et je ne parle pas du salaire extravagant que mes employeurs ont tenu à me verser : fini les gardes ou les urgences récurrentes. Beaucoup moins de blocs car nous n'opérons essentiellement des clients fortunés dont l'argent permet ensuite d'alimenter les fonds de la Fondation, la recherche qui me tient toujours énormément à cœur et les projets caritatifs et humanitaires.

Encore que, avec tout l'argent que la famille Westley donne chaque année comme s'il s'agissait d'un simple pourboire à un serveur en terrasse, je ne suis pas certaine que les honoraires payés pour opérer le cœur de Monsieur Steadman seront vraiment déterminants pour les finances de la Fondation.

Bref...Je bosse énormément mais cela n'a plus rien à voir avec ma vie en France. Je dors mieux, je peux presque chaque jour m'entraîner à la salle de boxe, installée initialement dans l'immeuble pour Raphaël, j'ai repris le piano. J'ai même une vie sexuelle plutôt remplie et épanouie. A défaut de vie sentimentale mais ça, ça fait un moment que je me suis décidée à n'y accorder aucune importance. Depuis Julie, en fait, dont j'étais tombée amoureuse quand j'étais interne au point de la suivre à Paris quand elle m'a annoncé qu'elle y poursuivrait son cursus.

Sauf que c'est elle qui a fini par me quitter...en m'affirmant qu'elle était désespérément amoureuse de moi.

Paradoxal ? Pas pour elle, semble-t-il car elle me sentait incapable d'« être la femme d'une seule femme », alors qu'elle estimait mériter d'être vraiment aimée. Mon amour-propre en a pris un coup à l'époque, ma culpabilité aussi d'ailleurs car j'aurais aimé être capable de cette fidélité qu'elle attendait de moi... Même si je ne l'ai plus jamais revue, elle reste présente dans un coin de ma tête comme l'histoire stable que j'aurais pu vivre. Et parfois même, je me demande si j'aurais dû m'accrocher et si je serais heureuse de la trouver chez moi, en rentrant du boulot.

Parfois seulement... Parce que le reste du temps, mon travail, la fierté de mes parents qui se sont tellement sacrifiés pour que mon frère et moi arrivions où nous en sommes, une jolie fille sensuelle et pas prise de tête de temps à autre et, bien sûr, mes amies, tout cela suffit amplement à mon équilibre.

Mes amies... Romy, Charlotte, Marie et Hortense. Elles me manquent néanmoins dans ce nouveau quotidien trop décalé du leur. Même si mon boulot me permettait surtout une amitié par SMS les dernières années, au moins on pouvait réagir en groupe ou par téléphone, en s'appelant sur un coup de tête. Voire se retrouver pour boire un verre quand nos emplois du temps le permettaient... Sans subir un décalage horaire qui rend désormais difficile de conserver notre spontanéité d'avant.

Le patient suivant m'attend puis un autre et il est finalement un peu plus de 16h30 quand je termine mon dernier bloc. Je n'ai pas de visite du service à faire cet après-midi, alors j'enlève mon calot, mon masque, la tenue jetable bleu ciel et les merveilleux sabots qui sont plus chers à mes yeux que n'importe quelle paire de stilettos ou de bottes dernier cri. Je rigole avec les membres de l'équipe, prends une douche, remets mes habits de ville restés pliés dans mon casier et récupère le sac de sport que j'emporte toujours avec moi. Je ne sais pas encore si j'ai envie d'aller me défouler contre le sac de frappe. Flâner en ville, pour une fois, pourrait être une idée sympa aussi, au lieu de rentre comme chaque jour au pas de charge ou en taxi pour retrouver mon canapé.

TRY BABYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant