Chapitre 4

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Victor tournait en rond sur le pont arrière de son yacht, pas certain de la tournure que prendrait sa soirée. Dans le pire des cas, Clémentine ne viendrait pas et il ne se passerait rien du tout, dans le meilleur... il avait préparé la chambre.
Ils avaient finalement signé le contrat en bonne et due forme au cabinet « Guyot et Associés », en compagnie de leurs avocats. C'était la première fois qu'il tentait de revoir Clémentine en dehors d'un cadre strictement professionnel. Officiellement il l'avait invitée pour célébrer l'obtention de leur première subvention, mais il se doutait qu'elle ne serait pas dupe, une soirée en tête à tête avec lui dans un cadre aussi intimiste augurait de bien d'autres choses, et vu le refus qu'il avait essuyé à propos du week-end à Avignon il ne savait pas quoi penser.
Finalement l'attente fut de courte durée et à vingt heures précises son chauffeur – à qui il avait donné des instructions – déposa Clémentine devant le bateau.
— Je n'étais pas sûr que vous viendriez, dit-il en lui tendant la main pour l'aider à franchir la passerelle au-dessus de l'eau.
Elle la saisit et ne la lâcha pas tout de suite après s'être hissée à bord, au plus grand plaisir de Victor.
— Je n'ai pas l'intention de passer mon tour à chaque fois, ça serait malpoli. Et puis, vous avez été raisonnable cette fois-ci, nous ne sommes pas au Palais des Papes !
— Raisonnable ? Mince, est-ce que je risque de vous voir partir en courant si je débouche cette bouteille de champagne ?
Clémentine fit mine de réfléchir mais accepta la flûte qu'il lui tendit. Ils s'installèrent confortablement sur la banquette arrière de l'embarcation.
— Non. Je ne partirai pas. Il y a encore quelques mois je n'aurais même pas pu monter sur un bateau comme celui-ci, j'aurais tort de ne pas en profiter.
Victor s'était renseigné et savait qu'elle avait été victime d'un accident de la circulation dans le cadre de son travail. L'affaire avait fait grand bruit dans la presse locale, car il y avait eu beaucoup de blessés : alors qu'ils revenaient d'une sortie scolaire, le bus du groupe de lycéens que Clémentine accompagnait s'était renversé et elle s'était trouvée prise au piège, la moelle épinière compressée.
— Quand vous étiez en fauteuil, énonça-t-il.
— Oui.
— Je ne peux qu'imaginer. Heureusement, vous marchez maintenant.
Il avisa les jambes nues et bronzées de Clémentine qui se dévoilaient à travers les pans de sa robe qui s'ouvraient alors qu'elle les croisait.
Elle ne dit rien, et il comprit qu'elle ne souhaitait pas s'étendre sur le sujet. Sans doute une blessure encore trop fraîche, pensa-t-il. Il se promit d'y revenir plus tard, il avait une certaine expérience des coups durs de la vie et des techniques à mettre en œuvre pour se relever.
Dans l'immédiat il avait l'intention de passer une soirée joyeuse en apprenant à mieux connaître Clémentine. C'est ce qu'ils firent pendant les heures qui suivirent. Une conversation sincère et chaleureuse opéra entre eux, les mots venaient tous seuls, ils se reconnaissaient l'un en l'autre malgré des parcours de vie très différents. Clémentine d'ailleurs ne masqua pas sa surprise, elle confia à Victor l'avoir jusqu'alors considéré comme un séducteur superficiel. Le fait qu'il ne se protège pas d'une carapace en sa présence alors qu'ils abordaient des sujets parfois personnels la touchait.
— Qui est-ce ? demanda Victor alors que le téléphone de Clémentine sonnait avec insistance.
Par deux fois déjà elle avait regardé l'écran et lu les notifications affichées sans prendre la peine de répondre.
— Ma fille. Mais rien d'urgent, je la rappellerai plus tard !
— Non. Faites-le maintenant. Si elle veut vous parler c'est le plus important, répliqua Victor.
Il ne laissa pas à Clémentine l'opportunité de rétorquer et s'éclipsa dans la cabine pour lui laisser un peu d'intimité.
Au bout d'un moment, alors qu'il était occupé à apporter la dernière touche aux assiettes qu'il assemblait pour leur dîner, Victor remarqua la présence de Clémentine, appuyée contre le chambranle de la porte. Elle se tenait les bras croisés sur sa poitrine et l'observait. Il lui sourit et s'essuya les mains dans un torchon avant de réajuster les manches de sa chemise qu'il avait roulées sur ses avant-bras.
— Vous cuisinez, en plus ? remarqua-t-elle.
— Disons que je fais illusion ! Ce ne sont que des crudités et un peu de charcuterie. Ça ira ?
— C'est parfait.
A son tour Clémentine sourit avant de s'approcher.
— Merci, dit-elle.
— Attendez d'avoir goûté !
— Non, pas pour ça. Merci d'avoir insisté pour que je réponde à Garance.
— Ah. Vous vous entendez bien avec elle ?
Elle soupira, et il lui fit signe du menton de ressortir sur le pont, où il la suivit, leurs assiettes à la main. Ils se rassirent l'un à côté de l'autre, plus proches qu'ils ne l'étaient auparavant, et Victor leur servit un verre de vin. Elle but une gorgée et alors seulement répondit.
— Avant, oui. Mais depuis quelques mois... c'est compliqué. Même si ça va un peu mieux ces derniers temps.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
Clémentine le regarda fixement, et Victor se sentit évalué.
— Vous n'êtes pas obligé de me dire, fit-il.
— C'est juste que... je lui ai fait beaucoup de mal.
— Je ne peux pas croire que vous l'ayez blessée sciemment.
— Non, bien sûr ! C'est quand j'ai quitté son père. A l'époque, je suis tombée amoureuse d'un autre. Et le problème... c'est qu'elle aussi l'aimait.
— Le petit Delcourt, c'est ça ? J'en ai entendu parler.
Victor n'essaya pas de cacher le fait qu'il s'était renseigné sur elle.
— Vous devez penser que c'est ridicule.
— Je ne me permettrais pas de vous juger. Mon ex-femme aussi a fini par demander le divorce lorsqu'elle m'a surpris au lit en compagnie d'une jeune femme ! C'était gênant.
— Je ne crois pas que ça soit comparable ! s'écria Clémentine. Avec Maxime ce n'était pas une histoire de sexe ! Nous nous aimions. Jamais je n'oublierai ce que nous avons vécu ensemble. Il a été là pour moi après l'accident, je lui dois beaucoup.
Vu la réaction acerbe de Clémentine le sujet était sensible, Victor préféra changer de sujet. Décidément, cette période de sa vie était incroyablement riche en bouleversements. Pas étonnant que ça soit difficile pour elle d'en parler. Toutefois il retint une chose de sa confidence : Clémentine Doucet n'avait pas peur d'aimer.
Ils finirent de manger en silence. La soirée s'étirait et ils en profitaient en conscience : tous deux passaient un excellent moment, c'était évident que ni l'un ni l'autre n'avait envie que ça se termine. Victor avait tous ses sens en éveil. Après l'excellent champagne qu'il avait goûté, il laissa ses yeux s'abîmer sur l'eau qui s'étendait devant eux par-delà la marina, les mouettes piaillant autour des bateaux alignés. La brise marine amena le parfum de Clémentine lui chatouiller les narines, et il se tourna vers elle. Le vent avait dérangé sa chevelure et il osa toucher une des boucles qui était retombée sur son visage, la glissant derrière son oreille. Elle le laissa faire.
— Je ne savais pas que vous aviez des enfants, déclara-t-elle soudain.
— J'ai un fils, Timothée. Il vit avec sa mère à Miami.
— Vous ne devez pas le voir souvent.
— Non. Mais c'est mieux pour lui là-bas, il a ses habitudes. Il est autiste, voyez-vous. Et puis j'avais une fille. Elle est morte l'année dernière, elle avait vingt ans. Lola.
— Je suis navrée.
— Je pense à elle chaque jour.
Clémentine pencha la tête et le regarda tendrement. Victor fut soulagé de ne pas lire de pitié dans ses yeux, il avait horreur de ça.
— Votre fille, confia-t-il. Ne perdez jamais une occasion de passer du temps avec elle. Elle est ce que vous avez de plus précieux.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant