Chapitre 19

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Quelques jours après, Victor réceptionna avec impatience une nouvelle missive, la troisième déjà. Il avait la sensation de jouer une nouvelle partie du jeu qui les avait amusés au moment de leur rencontre. Peut-être la séduction en moins. Mais le plaisir de la découverte était intact ; il avait encore tant à apprendre sur elle.

« Il y a un sujet dont il faut que je te parle..., écrivait-elle. L'agent immobilier de Buroloc m'a laissé un message où elle m'explique qu'elle se tient à ma disposition à l'avenir si j'ai de nouveaux projets. Je ne l'ai même pas rappelée mais j'imagine qu'elle n'a pas pu retenir plus longtemps les locaux qu'on avait visités. C'est sans doute mieux comme ça, je lui avais demandé de patienter mais je ne sais pas quand j'aurais été en mesure de m'investir de nouveau dans mon projet, donc bon... Quand je pense à toute l'énergie que j'y ai mis ! Je n'ai pas la motivation de reprendre pour l'instant. J'espère que tu comprendras et que tu n'auras pas perdu trop d'argent... Le dossier de subventions peut-il encore être annulé ? Je ne sais pas trop non plus si je veux retourner au lycée. Que penseront les élèves en me voyant ? Je ne peux pas m'empêcher de les imaginer me dévisager et me juger. Et puis croiser Olivier tous les jours... Même s'il s'est calmé et n'agit plus stupidement à chaque fois qu'il me voit, je n'ai pas envie de m'infliger ça ! Il faudra que je trouve un nouvel avocat pour mon divorce... Ça non plus je n'ai pas le courage... Pourtant il faudra bien que je fasse quelque chose. Mais mon psy me dit que ça viendra, le moment venu je saurai que je suis prête. Je pourrai alors me remettre à vivre. En attendant peut-être aurais-tu quelqu'un à me conseiller ? Une femme si possible ? Je suis sûre qu'il y en a au moins une dans ton carnet d'adresses qui serait ravie de te rendre service ! »

Victor résolut immédiatement de ne pas avouer à Clémentine que c'est lui désormais qui occuperait les locaux tant convoités. Il ne savait pas trop comment aborder le sujet mais puisque madame Delaunay n'avait pas vendu la mèche – sans le vouloir – il se tairait aussi pour le moment.
Il avait décidé de poursuivre le projet. Il s'était contenté dans un premier temps d'investir les lieux avec l'intention première de les sécuriser pour Clémentine mais puisqu'elle ne semblait pas en capacité d'aller plus loin – ce qui confirmait son intuition – il allait mettre les bouchées doubles pour concrétiser ce dont elle rêvait. Peu importe ce que ça lui coûterait, pour une fois il n'était pas guidé par la rentabilité. Peut-être même qu'il faisait ça pour rien, si elle ne voulait pas en entendre parler ou si le résultat ne lui plaisait pas. Dans ce cas tant pis, il arrêterait, mais au moins elle aurait le choix. Il ne lui écrivit pas ses intentions en ces termes, mais l'enjoignit à ne pas s'en soucier.

« Quand je lui ai expliqué ne plus trop savoir où j'en étais après ton départ, mon psy m'a dit la même chose : « chaque chose en son temps », ça doit être leur truc pour qu'on continue plus longtemps à aller les voir !
Ne t'inquiète surtout pas pour ta salle, peu importe si je perds de l'argent, je ne regretterai jamais d'avoir choisi de financer ce dossier !!!
»

« P.S. : Tu sais que Garance se moque de nous ? Elle m'a envoyé un texto pour me rappeler que nos smartphones et Internet existent. »

Il glissa cette phrase l'air de rien pour mesurer si Clémentine envisagerait bientôt de reprendre un contact plus direct. La réaction de la jeune fille l'avait réjoui, sous les railleries se cachait en fait le soulagement de voir de nouveau sa mère s'amuser, et Victor se flatta d'en être la cause.

Une réponse ne tarda pas à arriver. Visiblement Clémentine prenait autant de plaisir que lui à recevoir un courrier, puisqu'elle était prompte à rendre la pareille.

« Pardon ? Ton psy ?!? Toi, Victor Brunet, tu vas voir un psy ? Permets-moi de me gausser ! Jamais je n'aurais cru que tu franchisses ce pas ! Mais là encore, la vie nous réserve bien des surprises. Je me moque, mais dois-je m'inquiéter ? Ne me ment pas, tu vas bien ? Si non, dis-moi que je n'y suis pour rien... »

De toute évidence Clémentine ne mesurait pas le malaise que son départ de Sète avait causé chez lui. Le format de leur correspondance avait l'avantage de permettre à Victor d'esquiver. Il n'avait pas l'intention de rentrer séance tenante dans le détail du tumulte de ces derniers mois. Il poursuivit sa lecture.

« Excuse ma fille, elle est très mal élevée ! Tu en as marre de cet échange épistolaire ? Moi j'aime bien. J'ai été surprise d'apprendre que Garance a ton numéro. Je ne savais pas que vous étiez en contact ! Du coup elle m'a raconté ce que tu as fait quand j'ai disparu, et comme tu l'as crue tout de suite quand elle a compris que ça n'était pas normal. C'est très étrange d'écrire ça. Je crois que je n'ai jamais vraiment essayé de me mettre à votre place cette semaine-là, ça n'a pas dû être facile pour vous non plus. J'ai tout de même un peu de mal à vous imaginer tous les deux ! Mais je te dois la vie Victor, autant qu'à elle ou à la police. Et je ne sais même pas si je t'ai remercié. Alors voilà : merci. »

Il sembla à Victor que les dernières lignes étaient moins assurées. La longue écriture penchée de Clémentine était irrégulière, comme si elle avait tremblé en les rédigeant. Il rangea la lettre dans un tiroir de son bureau avec ses consœurs et s'attela à répondre.

« Je ne suis pas d'accord, Garance n'est pas mal élevée, elle est juste aussi taquine que sa mère ! Ne t'en fais pas, j'aime plus que tout recevoir tes lettres (je guette le facteur comme un gamin le Père-Noël) ! Même si je ne te cache pas que j'aimerais aussi te voir. Tu me manques. Ton rire me manque, tes yeux me manquent, ton odeur et ta peau me manquent. Envisages-tu de revenir à Sète bientôt ? Sinon je viendrais avec plaisir vous rendre visite à Toulouse. J'ai déjà failli le faire, d'ailleurs ! Après le nouvel an. J'étais sur la route et je m'y suis arrêté quelques heures. J'ai pensé t'appeler, mais bon, je n'ai pas voulu t'imposer ma présence comme ça sans prévenir. Tu es partie tellement vite (ce n'est pas un reproche), je n'avais pas la moindre idée de ce que ça te ferait. Et puis, je n'étais même pas sûr que tu sois rentrée de chez les parents d'Olivier. Ce jour-là je revenais de chez mon père. Je ne crois pas t'avoir déjà parlé de lui ? Il me tape sur les nerfs parfois, mais je devrais aller le voir plus souvent. Quand j'ai perdu Lola je n'ai rien appris. J'ai essayé de continuer ma vie comme avant, alors que plus rien ne pouvait être semblable. Il a fallu que je craigne te perdre aussi pour réaliser ce qui compte vraiment pour moi (et oui, ça me brûle les lèvres de le dire, mais mon psy m'aide énormément pour ça). A un moment j'ai vraiment cru qu'on ne te retrouverait jamais et tout s'est écroulé autour de moi. Bref, j'ai passé les fêtes à Saint-Jean-Pied-de-Port avec mon vieux, et c'était chouette. Vous vous entendriez bien, il est simple et authentique, comme toi. Ça te plairait là-bas, l'été surtout. Il y a de quoi faire en matière de randonnées ! Je vous y emmènerais si vous voulez, toi et Garance. »

Dix jours s'écoulèrent sans que Victor ne reçoive de réponse. Il s'était habitué à en recevoir une à chaque fois par retour de courrier et ce retard inexpliqué le contraria. Mais telles étaient les règles de la correspondance par lettres, alors il rongea son frein et patienta, malgré le doute. Ses aveux dans sa lettre précédente laissaient entendre à Clémentine qu'il avait toujours des sentiments pour elle. Devait-il interpréter son silence comme un refus de consentir à cet état de fait ?

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant