Chapitre 1

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Victor ne tournait jamais le dos à une opportunité de contrat. Alors quand Lou l'appela ce jour-là il accepta de faire un détour par le cabinet où elle travaillait au lieu de se rendre directement au restaurant chic du bord de mer où ils avaient convenu de se rejoindre pour un déjeuner en tête à tête. Il n'y avait guère que pour elle qu'il acceptait ce genre d'entorse à son organisation millimétrée.
Lou travaillait pour lui comme éclaireuse. Grâce à son portefeuille de clients fourni, elle avait développé un réseau considérable de sétois plus ou moins fortunés susceptibles un jour ou l'autre d'être des candidats idéaux pour un partenariat avec lui. Victor faisait une confiance aveugle à sa compagne et savait que si elle estimait qu'un dossier valait d'être lu c'est qu'il était solide. Ensuite, tout était question de feeling. Malgré les apparences – il savait qu'il passait pour un manipulateur sans cœur – il ne s'associait qu'avec des gens qu'il appréciait et surtout dont il respectait le travail.
Lou avait vaguement évoqué un projet de complexe sportif handisport au téléphone. Victor n'en savait pas plus mais la curiosité le gagna. C'était un domaine dans lequel il n'avait encore jamais investi, alors que c'était un marché porteur. Ainsi ce rendez-vous l'appâta, avec au bout un potentiel nouveau terrain de jeu à découvrir.
Il gara son SUV flambant neuf dans la rue sans se préoccuper du parcmètre et pénétra dans l'immeuble cossu abritant le cabinet « Guyot et Associés ». Dans l'entrée, il croisa et salua Christophe qui lui confirma que sa cliente l'attendait en compagnie de Lou. Victor fut étonné d'apprendre que son hypothétique futur associé était en fait du sexe faible. Bêtement, il avait imaginé un jeune homme au physique d'Apollon carburant aux shakers protéinés. Son intérêt s'en trouva renforcé et il grimpa rapidement les marches menant au premier étage.
Il entra dans le bureau de Lou et son regard se porta immédiatement sur la femme assise à côté de l'avocate. En le voyant elle s'était levée et lui tendait la main. Il la serra avec fermeté et elle le gratifia d'un large sourire dévoilant une rangée de dents blanches parfaitement alignées, tout en se présentant.
— Clémentine Doucet.
Victor nota, surpris, qu'elle le regardait droit dans les yeux. C'était loin d'être toujours le cas, en général il intimidait et ses interlocuteurs tendaient à faire profil bas, le mettant d'emblée dans une situation de dominateur dont il savait tirer profit, dans tous les sens du terme. Mais bien qu'il affectionnât l'emprise qu'il pouvait exercer sur les gens, il préférait quand ses partenaires agissaient à sa mesure, car ça rendait en général les rendez-vous bien plus piquants. Aussi, il accordait beaucoup d'importance aux premiers instants d'une rencontre, souvent déterminants pour la suite. Satisfait, il la détailla tandis qu'ils s'asseyaient tous les deux. Un peu plus jeune que lui, dans la quarantaine, elle était grande malgré qu'elle ne portât pas de talons et sa silhouette était allongée de surcroît par la combinaison décontractée – kaki, sans motifs – qu'elle portait. Très peu maquillée, elle arborait des bijoux discrets – un simple bracelet fin à son poignet gauche et des perles nacrées à ses oreilles – et aucun artifice dans ses cheveux bouclés attachés à l'arrière de son crâne et qui frôlaient l'indiscipline.
Un étrange mélange d'assurance et de retenue émanait d'elle et bien qu'intimidée elle semblait à sa place dans le bureau austère de l'avocate. Le mobilier en bois et les teintes chaudes des murs ne suffisaient pas à égayer le lieu qui témoignait quotidiennement des poignées de mains et autres paraphes échangés le plus souvent entre hommes d'affaires en costard-cravate.
Nullement impressionnée par Victor et son costume trois-pièces, Clémentine Doucet récitait avec maîtrise les arguments pour le persuader de financer son projet. Victor feuilleta le dossier qu'elle lui avait remis et fut sincèrement convaincu : le projet avait un véritable potentiel commercial. Il s'agissait d'ouvrir une structure adaptée aux personnes avec un handicap, mal accompagnées dans les salles existantes. Ce concept était inédit dans la région, ce qui représentait un atout majeur en faveur de sa réalisation. Bien que Clémentine fût novice en matière de création d'entreprise – Victor lut dans le dossier qu'elle était prof de sport –, elle s'était bien débrouillée et il ne lui manquait plus qu'un investisseur pour se lancer. Elle n'avait pas encore obtenu d'aides financières publiques et s'associer avec lui serait une aubaine.
Victor jaugea qu'elle méritait qu'il lui donne sa chance. Et puis au-delà du projet il s'avoua que la jolie enseignante l'attirait. Assez en tout cas pour vouloir la revoir afin d'éclaircir le mystère qu'il percevait autour d'elle.
— J'ai besoin d'un peu de réflexion, mais c'est intéressant, dit-il.
Elle lui lâcha un sourire tout en contrôle, et il eut davantage encore envie de découvrir ce qui se cachait derrière.
— Bien sûr ! Prenez votre temps, offrit-elle.
— Vous me laissez le dossier, et on en reparle demain. Vous seriez disponible en fin de journée ?
Elle marqua un temps d'hésitation sans qu'il ne sache si elle était surprise qu'il veuille si vite découvrir son projet ou si elle était gênée qu'il propose de la rencontrer en soirée. Quoi qu'il en soit elle accepta. Il conclut l'échange avec la promesse de lui envoyer un message pour lui préciser leur prochain rendez-vous. Ils échangèrent de nouveau une poignée de main avant qu'elle ne prenne congé et cette fois Victor remarqua la douceur de sa peau. Il l'observa à la dérobée alors qu'elle s'éloignait, et eut déjà hâte d'être au lendemain.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant