Chapitre 24

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— Allez-y, entrez ! invita Victor.
Il s'écarta pour laisser passer Clémentine, suivie de sa fille, et leur emboîta le pas. Garance n'avait pas hésité une seule seconde à les accompagner. De retour à l'appartement en milieu d'après-midi, elle était tombée sur sa mère finissant d'empaqueter des affaires, Victor patientant à ses côtés. D'abord elle s'était amusée devant l'air de déjà-vu de la scène qui lui rappela étrangement la fois ou avec son père ils avaient surpris le couple ; c'était le jour de sa première rencontre avec Victor.
Très vite cependant elle s'était interrogée sur les intentions de Clémentine, qui lui expliqua le malaise qu'elle avait ressenti la nuit précédente et sa volonté de décamper de l'appartement au plus vite, si possible définitivement.
Garance culpabilisa de ne pas s'être aperçue de la détresse de sa mère. Elle refusa catégoriquement la proposition de celle-ci de rester dans l'appartement le temps de ses vacances. Après autant de semaines passées ensemble toutes les deux, ce n'est pas comme ça que Garance envisageait ces quelques jours à Sète avant qu'elle retourne à Toulouse. Ça devait être une fête, un retour à la vie pour Clémentine et un moment de relâche pour elle avant d'attaquer le prochain semestre à la fac. Elle aurait eu l'impression de l'abandonner en investissant l'appartement ou en s'installant chez son père – elle avait simplement prévu de passer le week-end avec lui –, alors elle accepta la proposition de Victor, en se promettant de ramener Clémentine avec elle à Toulouse à la fin de la semaine si elle n'allait pas mieux.
— Surtout faites comme chez vous ! dit Victor avec entrain.
Lui-même se mettait à l'aise en ôtant ses chaussures et en rangeant son manteau dans le vaste placard de l'entrée. Clémentine connaissait la maison pour y être venue à l'occasion de leurs premiers rendez-vous professionnels l'été précédent, mais elle n'y avait jamais vraiment prêté attention, à l'époque ils avaient surtout profité de la terrasse. En ce mois de février, le jardin était nettement moins accueillant, mais Garance s'extasia tout de même en avisant la piscine à travers la baie vitrée du salon, avec la mer en arrière-plan.
— Canon ! C'est trop beau, chez toi !
— Venez, je vous montre les chambres ! fit Victor en riant.
Il grimpa quatre à quatre l'imposant escalier en marbre qui menait à l'étage. Sur le large palier, il leur expliqua la disposition des pièces.
— Ici, c'est ma chambre, indiqua-t-il en désignant la première pièce sur la gauche, et au fond c'était celle de Lola. Mais les trois autres de ce côté sont libres, vous prenez celle que vous voulez.
Les chambres étaient toutes aussi spacieuses et décorées avec goût les unes que les autres, donc ça n'avait pas d'importance. D'autant que c'était l'affaire de quelques nuits. Clémentine investit ainsi la première se présentant, et Garance opta pour celle d'à-côté.
— Je vous laisse vous installer, dit Victor, il faut que je m'absente quelques heures au bureau.
Puis il s'adressa particulièrement à Clémentine, soucieux.
— Ça ira ? demanda-t-il.
— Oui ! Ne t'inquiète pas autant, j'ai craqué tout à l'heure parce que je suis fatiguée, mais ça va, promis.
— Je la surveille ! fit Garance.

Clémentine, allongée sur le dos sur le lit de la chambre qu'elle s'était allouée, les chevilles croisées l'une sur l'autre et les mains derrière la tête, réfléchissait à sa situation, et récapitula : plus d'appart, plus de mari, plus de boulot dans l'immédiat. Super, Clémentine. Elle ruminait toujours lorsque Garance la sortit de sa réflexion quelques minutes plus tard en passant une tête dans la porte.
— Je meurs de faim ! Tu ne veux pas qu'on cuisine quelque chose pour quand Victor reviendra ? Je suis sûre qu'il a plein de trucs dans ses placards !
— Excellente idée ! répondit Clémentine en se levant d'un bond.
S'apitoyer sur son sort ne servirait à rien, il lui restait quelques jours encore pour profiter de sa fille avant que celle-ci ne reparte, elle n'avait pas de temps à perdre.

Quand Victor rentra chez lui plus tard ce soir-là, il fut accueilli par des rires en provenance de la cuisine et une irrésistible odeur s'en échappant. Il referma sans bruit la porte derrière lui et écouta, visiblement les filles ne l'avaient pas entendu. Il ne comprenait pas ce qu'elles se disaient mais entendre Clémentine s'amuser suffit à le rendre heureux. Et que dire de l'énergie de Garance ! Cette maison n'avait pas connu autant de vie depuis que Lola n'était plus là.
Il n'était pas rare avant qu'après une harassante journée de travail sa fille l'attende pour passer un moment avec lui ; quand elle avait le temps et ne sortait pas, ils passaient d'agréables soirées en tête à tête tous les deux. L'ambiance avait changé quand Lou s'était installée avec eux, mais les deux femmes s'entendaient bien et la maison avait continué de respirer, aux antipodes de l'apnée dans laquelle elle était plongée depuis que désormais Victor y vivait seul.

La semaine passa à la vitesse de l'éclair. Garance resta seulement trois jours avec eux, puis se rendit chez son père pour passer du temps en sa compagnie avant de prendre le train pour Toulouse. Elle était allée et venue au rythme des sorties prévues avec ses amis, mais avait toujours gardé un œil sur sa mère. Clémentine avait insisté pour l'accompagner jusque sur le quai de la gare, au grand dam de la jeune fille.
Clémentine dormit mieux, et bien qu'elle ne fût pas du genre à procrastiner, elle repoussa sa recherche d'un nouvel appartement. Puisque Victor ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'elle reste elle avait résolu de s'y mettre sérieusement une fois que Garance serait partie, elle aurait alors plus de temps à y consacrer. Elle faisait pleinement confiance à Victor et le savoir chaque soir de l'autre côté du couloir la rassurait bien plus qu'elle ne voulait bien se l'avouer. Malheureusement ça ne pourrait pas durer. Victor l'avait prévenue qu'il serait dans l'obligation de s'éloigner quelques semaines dès le samedi suivant. Il avait un vol réservé de longue date à destination des Etats-Unis qu'il ne pouvait absolument pas louper, même pour Clémentine, même si ça le torturait. Mais chaque année à cette époque il rendait visite à son fils, et ne manquerait ce rendez-vous pour rien au monde. Timothée quant à lui séjournait en France immuablement tous les mois d'août, et c'étaient les seuls moments dans l'année qu'ils partageaient.
— Que penses-tu de celui-là ? demanda Clémentine un soir avant le départ, alors qu'elle explorait les annonces immobilières.
Victor se pencha et fit une moue non équivoque en déchiffrant le descriptif de l'appartement sur le téléphone de Clémentine.
— Bof. Mal placé. Et il aurait bien besoin d'être rénové.
— Oui mais il est libre tout de suite !
— Combien de fois il va falloir que je te répète que tu n'es pas pressée puisque je ne te mets pas dehors ! Tu peux rester ici pendant que je serai absent !
— Ça me gêne.
Victor prit la main de Clémentine dans la sienne et glissa sur le canapé pour se rapprocher d'elle.
— Et si je te le demande ? Reste, s'il-te-plaît ? Rien ne me ferait plus plaisir que de savoir que tu seras encore là quand je rentrerais, énonça-t-il en se penchant doucement.
Leurs visages se touchaient presque, et Victor ne résista pas à l'envie de goûter à nouveau à ses lèvres. Il inclina un peu plus la tête pour l'embrasser, mais elle se recula vivement. Réalisant sa maladresse, il se confondit aussitôt en excuses.
— Je suis désolé, je n'aurais pas dû.
— Non... c'est moi...
Elle s'était levée et passait nerveusement la main dans ses cheveux. Ne sachant pas quoi ajouter, elle battit en retraite.
— Humm, je vais monter. Bonne nuit, Victor.
— Clémentine, attends !
Il se mit debout à son tour et voulut la retenir par le bras mais s'abstint de peur d'être rejeté. Elle n'avait pas attendu de toute façon. Merde, se dit-il.
Il reprit la lecture du dossier dans lequel il était plongé sur son ordinateur avant que Clémentine l'interrompe mais ne parvint pas à se concentrer. Il ferma rageusement le capot de l'appareil et monta à l'étage, où il entra sans tergiverser dans la chambre qu'il prêtait à Clémentine.
— Je ne sais pas ce qui m'a pris, c'était nul, exprima-t-il vivement. Oublie. Promis je n'essaierai plus de t'embrasser. Mais je t'en prie, ne loue pas le premier appartement venu juste pour partir d'ici à cause de ma stupidité, tu mérites un endroit chouette où tu te sentes bien.
Elle lui offrit un semblant de sourire qui le rassura un peu. Peut-être qu'il avait raison d'espérer encore.
Clémentine était assise sur son lit et fit signe à Victor de la rejoindre.
— J'ai tout gâché ? demanda-t-il en prenant place près d'elle.
Elle secoua la tête, amusée.
— Arrête de te torturer, c'est moi qui ruine tout continuellement ! Je ne comprends pas comment tu fais pour me supporter encore. Après avoir importuné Garance pendant des semaines maintenant c'est toi que j'embête !
Victor hasarda un bras autour de Clémentine et elle se blottit contre lui en reposant sa tête dans le creux de son épaule.
— Je sais ce que tu m'as promis, Victor. Mais j'ai peur.
— De quoi ?
— De tout. J'ai peur de tout, tout le temps. Je sais aussi que tu veux m'aider, mais je ne suis plus la même, et j'ai besoin de découvrir moi-même qui je suis devenue. Tu comprends ?
Il déposa un baiser dans ses cheveux.
— Bien sûr. Mais n'oublie pas que je suis là pour toi, d'accord ? Pour quoique ce soit.
Elle ajusta sa position contre lui, encerclant sa taille tout entière de ses bras, tandis qu'il caressait doucement son dos d'un geste tendre et réconfortant.
— Là précisément, c'est un endroit chouette où je me sens bien, fit-elle.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant