Chapitre 2

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— Une salle de sport ? demanda Arnaud.
Victor et son ami buvaient un café au Spoon, un de leurs lieux de détente favori. Le café était idéalement placé sur les quais et ils pouvaient s'y retrouver rapidement entre deux rendez-vous à n'importe quel moment de la journée. La vie professionnelle d'Arnaud Molina, qui était directeur du port de Sète, était aussi palpitante que celle de Victor et les deux amis – aussi parfois associés – se rencontraient le plus souvent en coup de vent, même s'ils ne laissaient jamais passer plus d'une semaine sans se voir pour un déjeuner ou simplement autour d'un verre quand ils n'avaient vraiment pas le temps, ce qui était le cas ce jour-là.
Comme toujours, Victor tenait Arnaud au courant de ses derniers projets en date, et le complexe sportif handisport de Clémentine Doucet ne fit pas exception. Les deux compères se connaissaient depuis le collège et Victor considérait Arnaud comme son seul véritable ami. Aucun autre ne le connaissait aussi bien qu'Arnaud, qui savait lire en lui comme dans un livre ouvert, peu importe les efforts qu'il mettait à masquer ses sentiments ou à se fabriquer un personnage arrogant de magnat des affaires puissant et sans cœur.
— Ça peut marcher, répondit-il laconiquement.
Arnaud afficha une moue dubitative et feuilleta le dossier que l'aspirante chef d'entreprise avait laissé à Victor. Il n'aurait pas eu l'air moins convaincu si Victor lui avait annoncé vouloir se lancer dans la poterie ou la taxidermie. Il tourna une nouvelle page sans plus la lire que les précédentes et tomba sur le curriculum vitae de l'auteure du document, et il émit un rire franc et direct, comprenant en un coup d'œil la passion soudaine de son ami pour le bien-être des personnes en situation de handicap : dans le coin supérieur droit du feuillet, Clémentine Doucet avait inséré une photographie d'elle pour le moins... avantageuse.
— Je vois, fit-il. Tu l'as rencontrée ? Elle est comme sur la photo ?
— Elle est sublime. Sexy comme ce n'est pas permis.
— Mais cette histoire de salle de sport, tu as regardé quand même ?
— Tu me connais, je n'investis que dans des projets qui tiennent la route. Mais disons que là j'ai une motivation supplémentaire ! Je la revois ce soir.
— Et Lou ?
— Quoi Lou ? Elle sait que j'ai besoin d'une certaine liberté, ce n'est pas nouveau.
Arnaud secoua la tête. Il ne cautionnait pas les agissements de Victor. Même s'il lui était arrivé aussi par le passé d'être infidèle – alors que son mariage périclitait – il n'envisageait pas de tromper une femme qu'il prétendait aimer. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser que Victor ne se comporterait pas de la sorte si Lou était réellement la femme de sa vie, et ça le peina, car les deux semblaient se contenter de partager leurs vies pour ne pas être seuls au lieu de se mettre en quête d'un amour plus véritable, comme ce que lui-même vivait avec Flore.

Quelques heures plus tard, Victor patientait de nouveau au Spoon, mais cette fois-ci il avait choisi une table basse dans le fond de la salle plutôt que la table exposée dans le cœur de l'établissement où il avait discuté avec Arnaud.
Il attendait avec impatience, soucieux de vérifier si sa première impression concernant Clémentine Doucet avait été bonne. La réalité alla bien au-delà de ses espérances. Il la repéra dès qu'elle émergea dans le café, le cherchant du regard. Sans se manifester, il s'appuya nonchalamment contre le velours bleu du fauteuil bas dans lequel il s'était installé et croisa les jambes, l'observant éhontément. Lorsqu'enfin elle l'aperçut elle afficha un large sourire, aussi éclatant que la veille, et se dirigea vers lui d'un pas assuré, perchée sur neuf centimètres de talons. Le galbe de ses jambes s'en trouvait affiné et il apprécia la vue, d'autant qu'elle portait une robe noire seyante qui lui arrivait juste au-dessus du genou, dégageant des mollets musclés qui se contractaient à chacun de ses pas.
— Bonjour, dit-elle simplement en prenant place à ses côtés.
Victor l'écouta encore lui parler de son projet, il était question de personnes âgées, pour qui la salle serait adaptée, c'était une évidence. Il hochait la tête de temps en temps mais il était fasciné plus par le son de sa voix et le mouvement de ses lèvres – qu'elle avait recouvertes de rouge – que par les mots qui en sortaient. Elle ne décrochait pas son regard du sien et semblait sensible aux charmes qu'il déployait. Il l'espéra en tout cas, parce qu'elle l'attirait plus que jamais.
Au bout d'un moment il posa sa main sur celles de Clémentine qui reposaient jointes sur l'accoudoir de son fauteuil. Elle ne le repoussa pas alors il s'y attarda.
— Je suis séduit, dit-il.
L'air se chargea d'électricité autour d'eux et il était impossible qu'elle n'ait pas saisi le double sens de sa remarque. Cela ne sembla pas l'effrayer puisqu'elle se déclara ravie.
Reprenant son sérieux un instant, il s'agissait de business après tout, Victor lui proposa d'investir un million dans son projet, et de jouer de ses contacts haut-placés. Elle ne fut pas impressionnée et déclara que c'était un bon début, sans le remercier à outrance. Victor constata, enchanté, qu'elle voyait clair dans son jeu, et ne se contenterait certainement pas de se plier à ses quatre volontés docilement. Elle savait que la proposition qu'il lui faisait était intéressante mais elle avait également compris qu'il attendait d'elle de se montrer à la hauteur du pont d'or qu'il lui présentait. L'ambition était selon Victor une des clés de la réussite d'un projet, et il ne s'encombrait jamais d'associés trop timides. Il pressentait que Clémentine saurait combler ses attentes mais décida néanmoins de la pousser un peu plus loin dans ses retranchements.
— Je ne vous cache pas que le physique est important dans ce genre d'affaires. Je me charge des banques et les représentants du conseil départemental pour les subventions mais pour les relations publiques j'aurai besoin de vous. On a déjà dû vous dire que vous étiez une femme magnifique.
— Merci. Ce n'est pas un problème, j'adore parler du projet. Et puis, je suis la mieux placée pour le faire ! répondit-elle.
Pas de fausse minauderie, parfait, se dit Victor. Elle n'avait même pas baissé les yeux. Et toujours ce sourire. Finalement, il posa son ultime pion avant d'entrer pleinement dans la partie.
— Une dernière chose. Maître Bourgueil m'a signalé que vous étiez en instance de divorce.
Pour la première fois une once de doute passa dans le regard de Clémentine, mais elle ne cilla pas.
— Oui.
— C'est parfois difficile à vivre comme période, ça peut demander beaucoup d'énergie, insista Victor.
— Ne vous inquiétez pas, je suis solide, affirma-t-elle. Et puis, je suis passée à autre chose.
Victor fit l'économie d'une réponse, mais le sourire qu'il décocha en dit long.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant