Le mois de mai arriva très vite. Après la journée sur le yacht, Clémentine et Victor eurent plusieurs autres occasions de passer du temps avec Arnaud et Flore. Les deux couples s'entendaient à merveille, et ils multiplièrent les sorties sur le bateau ou dans l'une des spacieuses maisons dont ils disposaient au bord de l'étang de Thau ou de la mer. La maison de Flore et Arnaud, bien que plus petite, n'avait rien à envier à celle de Victor et avait également été conçue par un architecte.
La journée était belle pour le mariage, et la cérémonie se déroula sous le soleil et dans la bonne humeur. Les mariés étaient radieux, entraînant l'assemblée dans leur bonheur.
Après l'échange des vœux à la mairie, la procession de convives se déplaça jusqu'au domaine où eurent lieu les festivités. Le traiteur sélectionné avec soin par la mariée s'acquitta avec brio de l'organisation du dîner : tout le monde se régala.
— Très chère, m'accorderez-vous cette danse, à moins que je risque une nouvelle fois d'être frappé par un de vos prétendants envieux ?
Clémentine rit en découvrant Maxime devant elle, un sourire éclatant accroché à ses lèvres. Il faisait référence à la fois où Olivier l'avait cogné au visage après avoir appris qu'ils étaient amants.
— Tu peux avoir cette danse, en tout bien tout honneur, mon cher Maxime.
Elle saisit la main qu'il lui tendait en guise d'invitation, et il l'entraîna sur la piste de danse. L'animateur de la soirée diffusait maintenant des slows, et Clémentine nota que Maxime était visiblement venu non-accompagné, puisque c'est elle qui se trouvait dans ses bras. Quoiqu'elle-même avait perdu Victor de vue près d'une heure auparavant, alors qu'il naviguait de table en table au gré de ses connaissances. Il était peut-être dans le jardin, les mariés avaient loué un domaine magnifique pour la réception : la salle s'ouvrait sur un vaste parc entre mer et vignes.
— Tu es splendide, comme toujours, la complimenta Maxime.
Elle portait une robe bleu pastel mi-longue – courtoisie de Victor –, dont la taille resserrée et la jupe évasée mettaient en valeur sa ligne élancée. Elle avait remonté sa chevelure bouclée en un chignon de façon à dégager sa nuque et le décolleté en V dans le dos de la robe. Elle s'était maquillée légèrement, et portait pour tout bijou un bracelet fin en argent. Des émanations d'un parfum printanier l'enveloppait, complétant son allure lumineuse.
— Je suis content que tu ailles bien. Ça fait longtemps que tu es de retour à Sète ? interrogea Maxime. J'ai appris par ma mère que tu avais donné ta démission.
Clémentine ne considérait pas encore qu'elle allait bien, mais elle ne démentit pas Maxime. Elle préférait le laisser croire que c'était le cas, car après tout elle était en bonne voie.
— Tu te souviens du projet de salle handisport que j'avais ? Eh bien, c'est en passe de se concrétiser, je m'y consacre à plein temps désormais. C'est comme ça que j'ai rencontré Victor, il m'aide beaucoup.
— Ah. Alors c'est sérieux, toi et Brunet ?
— Je crois.
Maxime ne dit rien. Il n'aimait pas Victor Brunet, mais juger le couple serait hypocrite de sa part, il était bien placé pour savoir que l'amour avait ses propres lois que la raison et la logique ne régissaient pas. Et puis, il était heureux pour Clémentine.
Elle lui demanda si lui aussi avait quelqu'un. La réponse était « non », mais ça lui convenait, il n'avait pas envie de s'engager dans une relation sérieuse pour le moment.
Ils conversèrent ensuite à propos de son avenir. Maxime étudiait en classe préparatoire de mathématiques, et même si c'était difficile, ça lui plaisait et il espérait décrocher sa première année. Il s'enquit de Garance, et Clémentine promit de transmettre ses amitiés.
Comme une nouvelle chanson se terminait, Maxime raccompagna Clémentine à sa table et déposa un baiser sur sa joue avant de s'éloigner. Victor n'était pas là, pas plus que les mariés. Luke et deux de ses cousins étaient toujours attablés – manifestement la danse n'était pas leur tasse de thé –, mais ils ne firent même pas attention à elle. Non pas qu'elle souhaitait participer à leur conversation de toute façon. Elle balaya la salle du regard, à la recherche de Victor. Les tables étaient pour la plupart à demi vidées ; beaucoup d'invités étaient partis, la fête touchait à sa fin. Elle ne le vit pas.
— Tu cherches ton homme ? lui demanda Flore en passant.
Depuis le début de la journée elle courait à droite à gauche, Clémentine se demanda si elle avait seulement pris le temps de manger.
— Il est sur la terrasse ! indiqua la mariée en s'éloignant déjà.
Victor était appuyé contre la barrière de bois qui encerclait la terrasse pavée de pierres, les manches de sa chemise remontées sur ses avant-bras et sa cravate abandonnée depuis longtemps. Un groupe de convives goguenards – et considérablement éméchés – était agglutiné autour d'un des leurs amusant la galerie, mais sinon l'espace était désert. Clémentine s'approcha de Victor et glissa une main dans son dos.
— Te voilà !
Il passa un bras autour de ses épaules et elle se colla contre lui. Victor déposa un baiser sur sa tempe.
— Tu t'amuses bien ? demanda-t-il. J'ai vu que tu t'es trouvé un cavalier pour danser !
— Oui ! Et il est plutôt compétent en la matière, j'ai passé un excellent moment !
De là où ils étaient, la musique leur parvenait en sourdine. Victor encercla la taille de Clémentine et, tête contre tête, ils chaloupèrent doucement jusqu'à ce que les chansons langoureuses laissent place à un florilège kitsch issu des années 80.
— On rentre ? proposa alors Victor.
Une heure plus tard, Clémentine garait le SUV de Victor dans leur allée. Il n'était pas saoul mais avait tout de même bien trop bu pour conduire, alors il lui avait volontiers laissé les clés comme ils avaient convenu dès le début de la soirée. Clémentine s'était contentée d'une flûte de champagne au moment du dessert.
A peine la porte de la maison refermée derrière elle, Clémentine gémit en retirant ses chaussures. Les hauts talons étaient toujours une torture, peu importe le modèle des escarpins. Elle était impatiente de se délasser, d'enlever le maquillage qui collait sur son visage et défaire les épingles de son chignon qui lui serraient le crâne.
Plus tard, quand elle sortit de la salle de bain, elle entra sans faire de bruit dans la chambre, s'attendant à trouver Victor endormi. Mais sa lampe de chevet était allumée et il veillait encore. Il ouvrit le lit pour Clémentine et se pressa contre elle dès qu'elle s'allongea, se repaissant des odeurs mêlées des restes de parfum sur ses cheveux, de son gel douche et de sa crème de nuit.
— A quoi tu pensais ? demanda Clémentine.
— A toi.
— Bonne réponse, sourit-elle.
Elle caressa sa joue et l'embrassa tendrement. Des signes de fatigue se lisaient aisément sur son visage, mais il semblait disposé à discuter. Ça leur arrivait parfois, quand l'insomnie guettait l'un ou l'autre – souvent Clémentine –, ils pouvaient passer des heures ainsi enlacés à parler.
Victor prit les deux mains de Clémentine entre les siennes et s'arma de courage.
— Que dirais-tu de déménager ? proposa-t-il subitement.
Clémentine sourit largement.
— Je me demandais quand est-ce que tu allais me le proposer officiellement ! Tu te rends compte que je vis déjà là, hein ?
— Je ne te propose pas d'emménager ici !
— Oh ?
Clémentine se sentit bête, elle avait cru qu'il suggérait d'officialiser le fait qu'ils vivaient ensemble. Elle ne voyait pas du tout où il voulait en venir. Victor la rassura ; bien sûr qu'il considérait déjà qu'elle était désormais chez elle dans sa maison ! D'ailleurs ne devrait-elle pas s'occuper de libérer son appartement ? Elle n'avait plus aucune raison de le garder. Mais c'est autre chose qu'il avait en tête.
— Je pensais, déménager tous les deux, partir. Ailleurs, précisa-t-il.
Clémentine haussa les sourcils.
— Vraiment ? Mais... On a nos vies ici...
— Quelles vies ? Qu'est-ce qui nous retient ici, sincèrement ? Par exemple, aujourd'hui : je connaissais quasiment tous les invités du mariage, mais la plupart au pire me détestent, au mieux se servent de moi pour leur business. Aucun de ses gens ne sont des amis, conclut-il amèrement.
Clémentine comprenait sans peine. Elle n'avait pas reconnu autant de connaissances parmi les convives, mais elle savait que beaucoup de ceux qui l'avaient jugée pour son histoire avec Maxime l'avaient encore regardée de travers maintenant qu'elle s'affichait au bras de l'homme ayant la pire réputation de Sète.
— Mais cette maison ? demanda-t-elle.
— Je la vends !
Elle savait à quel point il y était attaché, et la détermination dont il faisait preuve la déstabilisa.
— Tes sociétés ?
— J'en ai déjà vendu plusieurs. Je ne veux plus investir dans des boîtes dont je connais à peine l'activité pourvu qu'elles soient rentables. J'aimerais entreprendre vraiment, en me consacrant à un unique projet qui a du sens et qui me tient à cœur.
— D'accord... c'est bien, ça ! commenta Clémentine, toujours perplexe. Tu as une idée de ce que serait ce projet ?
— Le tien.
— Pardon ?
— Ta salle handisport. J'aimerais lancer une franchise. A l'échelle nationale.
Clémentine resta sans voix.
— Réfléchis. Ta salle, ça n'a pas encore vraiment démarré, on peut très bien confier la gestion ici à quelqu'un et en ouvrir une autre ailleurs. Si ça marche, ça pourrait nous occuper tous les deux à temps plein. Je développerais le concept et tu gérerais la salle comme ici. Et il n'y a pas de raison que ça ne marche pas, si ce n'était pas une bonne idée je n'aurais pas investi dedans au départ et tu ne serais pas ici avec moi !
Manifestement Victor avait tout prévu. Clémentine évalua la proposition, l'idée était séduisante. Elle n'avait jamais ambitionné de développer son projet dans une telle envergure, mais avec Victor aux commandes, pourquoi pas ? Et c'est vrai que la salle n'était pas encore ouverte à Sète. Il serait beaucoup plus difficile de partir après s'être investie davantage. C'était maintenant ou jamais.
— On irait où ? s'enquit-elle.
— Où tu veux.
— Je ne voudrais pas m'éloigner trop de Garance, même si je sais qu'elle a sa vie maintenant.
— Bien sûr. Tu aimerais la rejoindre à Toulouse ?
— Non, tu serais malheureux, toi, loin de la mer ! Tu n'as pas l'intention de te séparer aussi de ton bateau tout de même ?
— C'est vrai !
— Pourquoi pas le Pays basque ? Je pense à Biarritz ? ou peut-être Bayonne ? Ce n'est pas beaucoup plus loin de Toulouse qu'ici, et on se rapprocherait de ton père, on pourrait facilement aller le voir le week-end.
— Dis-donc, tu te projettes très bien, pour quelqu'un à qui je viens tout juste de proposer de quitter la ville ! remarqua Victor. Moi qui pensais que tu serais réticente, ça me plaît !
— Je ne te cache pas que pendant les semaines que j'ai passées à Toulouse, j'ai déjà envisagé très sérieusement de ne pas revenir à Sète. Pourtant j'adore cette ville, mais il y a tellement de souvenirs douloureux... C'est d'ailleurs parce que je pensais partir que j'avais arrêté le projet.
— Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ?
— Je crois que revenir était une étape nécessaire pour évacuer mes angoisses, sinon j'aurais toujours eu l'impression de fuir. Et puis toi, évidemment.
Victor sourit et l'embrassa de nouveau. Qu'est-ce qu'elle lui en avait fait baver, pourtant, avant de céder à ses avances !
— Mais je n'imaginais pas que toi tu envisages de partir, reprit Clémentine, tu règnes sur cette ville !
— J'aurais dû le faire quand Lola est morte, expliqua Victor. Rien de ce que j'ai construit ici n'a de sens. Tant qu'elle était là pour illuminer ma vie je ne m'en rendais pas compte, mais quand elle est partie, tout est devenu terne. J'ai continué machinalement, sans vraiment me poser de questions, faute de savoir quoi faire d'autre. Jusqu'à toi. Tu as le don de faire ressortir le meilleur de moi, enfin, je crois.
Il avait des trémolos dans la voix, la blessure était encore si vive. Clémentine ressentit l'urgence de le consoler. Si elle avait ce pouvoir elle serait heureuse de l'utiliser, parce qu'elle croyait dur comme fer qu'il méritait une vie plus douce.
— J'ai failli te perdre comme je l'ai perdue, poursuivait Victor. Je ne sais pas si je l'aurais supporté. Alors je ne veux plus gaspiller le temps qu'il nous est donné de partager. Je veux devenir un homme meilleur, je veux qu'on profite tous les deux, je veux qu'on réalise ce qui nous rend heureux.
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Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)
FanfictionQuand Victor décida de charmer Clémentine, il n'imaginait pas être pris au piège de ses émotions. Pouvait-elle être celle qui le soulagerait de la souffrance du deuil ? Serait-il capable de l'aider à affronter ses angoisses ? Avait-il droit au bonhe...