Chapitre 29

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Pour se faire pardonner d'avoir posé un lapin à Arnaud, et puisqu'il était impatient que Clémentine fasse mieux connaissance avec son ami et Flore, Victor invita le couple à passer une journée avec eux sur son yacht.
Dès l'apéritif qu'ils partagèrent sur le pont arrière, il fut soulagé de constater que le courant passait bien entre Clémentine et ses amis. Ils se connaissaient déjà plus ou moins, et avaient eu l'occasion d'échanger à quelques reprises, mais ce n'était pas la même chose que de l'accepter en tant que sa compagne. Mais ils se montrèrent curieux et l'inondèrent de questions pour vérifier si tout ce que Victor avait raconté à son sujet était vrai, ou s'il s'était laissé aveuglé par les sentiments amoureux qu'il nourrissait à son égard depuis longtemps. Ils avouèrent même avoir parié sur le fait qu'ils deviennent un couple ou non un jour. D'après ce qu'elle savait, Flore pensait que c'était possible tandis qu'Arnaud n'y croyait pas, persuadé que les sentiments de Victor pour Clémentine n'étaient pas réciproques. En observant le jeune couple il dut se rendre à l'évidence : il s'était trompé.
Après un déjeuner léger, Victor rejoignit Clémentine à l'avant du bateau où elle paressait sur un bain de soleil, tandis que Flore et Arnaud préféraient se reposer à l'ombre. La peau encore pâle en ce début de saison estivale, elle était néanmoins magnifique. Le bikini qu'elle portait était un cadeau qu'il lui avait offert la veille, pour l'occasion. Elle avait râlé, affirmant qu'elle était capable d'acheter elle-même ses maillots de bain, mais s'était ravisée en l'essayant : il lui allait à la perfection et était de bien plus belle facture que les maillots qu'elle choisissait habituellement. Il était aussi plus élégant. Pourtant uni – noir –, de délicats laçages au centre de la poitrine et sur ses hanches apportaient une touche de sophistication du plus bel effet.
Victor déposa entre eux une carafe de citronnade au cas où ils souhaiteraient se rafraîchir, se dévêtît, ajusta l'inclinaison de son transat, retourna dans la cabine chercher sa crème solaire qu'il avait oublié, s'en tartina, et enfin s'allongea. A peine immobilisé cependant il pesta, aveuglé par le soleil.
— Clémentine, mon cœur, ça te dérangerait de me passer mes lunettes ? Elles sont juste là.
Clémentine suivit du regard l'endroit que montrait Victor et n'eut effectivement qu'à tendre le bras pour attraper la paire de solaires. Elle les lui tendit en souriant.
— C'est nouveau ça, « mon cœur », observa-t-elle.
— Ça ne te plaît pas ? Comment préférerais-tu que je t'appelle ? ma chérie ? mon trésor ? mon petit canard ? madame Brunet ? énuméra-t-il.
— Victor !!!
Il rit haut et fort. Il savait pertinemment que sa dernière proposition ne laisserait pas Clémentine de marbre, même si c'était une boutade.
— J'aime bien « mon cœur », précisa-t-il. Ô ! Clémentine ! Je l'avais si lourd avant de te rencontrer ! Tu m'as laissé faire le joli-cœur pour te charmer, et de peur de te perdre j'ai dû l'avoir bien accroché. Mais à présent j'exprime à cœur ouvert ce que je ressens au fond de moi, il n'y a que toi qui me fait palpiter comme ça.
Clémentine se redressa sur un coude et releva ses propres lunettes sur son front, surprise et amusée par cet élan poétique qu'il avait déclamé en rigolant, les maintes jointes sur sa poitrine.
— Quelle inspiration ! Tu es adorable. C'est parfait.
Elle attrapa la main de Victor, y déposa un baiser, puis la porta contre sa poitrine un instant pour qu'il sente l'organe pulser.
— Sauf si c'est comme ça qu'Olivier t'appelait ! tempéra Victor. Dans ce cas je choisis « mon petit canard » !
Clémentine fit mine de réfléchir.
— Humm... je préfère « mon cœur » ! Non, avec Olivier c'était « chérie », tout simplement, ajouta-t-elle.
— Evidemment, quoi de moins original. Et le petit Delcourt ? Il t'appelait « maman » ?
Clémentine tendit de nouveau le bras, cette fois pour frapper celui de Victor, qui accepta de bonne grâce la correction qu'il avait méritée.
— Mais ! Tu sais que je n'aime pas que tu te moques de notre histoire !
— Pardon ! Mais tant que je trouverai ça risible j'aurai du mal à m'en empêcher !
— Si tu veux tout savoir, Maxime m'appelait « mon ange » ! indiqua Clémentine. Il pensait que puisque tout était censé nous séparer, si on était tombés amoureux l'un de l'autre c'était grâce à une force spirituelle ou je ne sais quoi. Quelque chose d'irrationnel et de plus grand que nous en tout cas. C'était beau, je le croyais quand il me disait toutes ces choses.
Victor ricana.
— Arrête-là ou je vais finir par être jaloux.
— Ça ne te ferait pas de mal. Je devrais peut-être l'appeler pour prendre de ses nouvelles...
— N'essaie même pas.
Il quitta sa position pour se pencher au-dessus d'elle afin de lui donner un baiser qui lui ôterait toute envie d'aller voir ailleurs.
— Je me mords presque les doigts d'avoir invité Arnaud et Flore à se joindre à nous, chuchota-t-il.
Avec regret, il s'écarta avant que la passion ne les entraîne trop loin, comme Flore arrivait justement à cet instant. Elle signala à Victor qu'Arnaud voulait le voir, à propos d'un certain monsieur Morel.
— Qui est-ce ? s'enquit Clémentine alors que Flore s'installait à la place laissée vacante par Victor.
— Aucune idée. Soit c'est pour le boulot, et je ne veux pas savoir, soit c'est pour le mariage, et je ne veux pas savoir non plus ! répondit Flore avec une logique implacable.
— Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre ? demanda Clémentine tout en connaissant la réponse.
— Non ! Ils font la paire, ces deux-là ! confirma Flore. Si c'est effectivement pour le boulot ils vont y passer l'après-midi ! Mais ça tombe bien, je voulais m'entretenir avec toi au sujet de deux-trois petites choses à propos du mariage.
— Oh ? s'étonna Clémentine.
— Oui, je voulais être sûre que la présence de Luke ne te pose pas de problème.
Clémentine mit un temps avant de percuter pourquoi elle devrait être gênée que le fils du marié participe à la fête. Après tout ce que lui avait fait vivre Christophe Bourgueil, l'obsession amoureuse que l'adolescent avait nourrie pour elle lui était sortie de la tête. Elle rassura promptement Flore.
— Ne t'inquiète pas pour ça ! C'est oublié ! Je ne dis pas que je serai super à l'aise avec lui mais il faudra bien que je passe outre de toute façon, j'imagine qu'on aura l'occasion de se voir régulièrement, maintenant. Si lui ça ne l'embête pas, moi ça ira.
— Ouf, tu me rassures, j'avais peur que ça coince ! Surtout que Victor et Luke sont les deux témoins d'Arnaud, donc vous serez sur la table d'honneur avec nous.
— Ah, les joies du plan de table ! J'ai souvenir de m'être arraché les cheveux avec mon ex-mari pour ménager la susceptibilité de chacun, pourtant nous n'avions pas convié beaucoup de monde !
— Dieu merci, nous non plus ! Il y aura un peu de nos familles, mais surtout des amis. Mais il y a quand même un autre invité dont je voudrais te parler, dit Flore.
— Dis-moi.
— Humm...Maxime Delcourt ?
Clémentine leva les yeux au ciel. Qu'avaient-ils tous à lui parler de Maxime aujourd'hui ?
— C'est le meilleur ami de Bart, je ne peux pas ne pas l'inviter, je le connais depuis toujours, s'empressa d'ajouter Flore.
— Et tu as peur de quoi ? Qu'on provoque un esclandre entre le champagne et la pièce montée ? s'amusa Clémentine.
— Excuse-moi si je suis maladroite. C'est juste que ce n'est pas toujours évident de côtoyer ses ex, et il s'est dit tellement de choses sur vous, je craignais que vous ne soyez pas en bons termes !
— Si, rassure-toi. Tu sais, notre histoire était bien plus simple que ce que les gens ont pensé. Et Dieu sait que tout le monde avait un avis sur la question ! Elle n'était pas faite pour durer, c'est tout. Je suis passée à autre chose, évidemment, et je suis sûre que Max aussi. D'ailleurs au contraire, ça me fera plaisir de le revoir. Même si ça risque de rendre Victor jaloux comme un pou !
L'expression fit sourire Flore, car elle imaginait sans peine la scène.
— C'est la preuve qu'il tient à toi ! Je ne l'ai jamais vu comme ça, tu sais. Tu l'as changé, ce n'est plus le même homme ! énonça-t-elle comme un compliment, soulignant la capacité de Clémentine à gommer les défauts de Victor.
— Je ne crois pas qu'on puisse changer les autres, on peut se changer soi-même, c'est tout, répondit cependant Clémentine, qui ne partageait pas l'analyse de Flore. En tout cas, j'espère qu'il ne se crée pas un personnage pour moi, car ça ne m'intéresse pas d'être dans une relation avec quelqu'un de malhonnête envers lui-même.
Flore réfléchit. Elle restait persuadée que Victor n'était plus le même qu'il y a quelques mois, il y avait trop de changements à noter dans son comportement envers les autres et vis-à-vis de son addiction au travail pour qu'elle se méprenne, mais elle se trompait peut-être sur les motivations de sa métamorphose.
— Tu as raison, concéda-t-elle. Je pense qu'en fait c'est la mort de Lola qui a initié une transformation chez lui, mais ton arrivée dans sa vie a servi de catalyseur, c'est évident. Ça lui a ouvert les yeux et il a compris que s'enfoncer tête baissée dans le travail pour oublier de vivre n'était pas ce qui le ferait avancer. Je suis persuadée que tu lui as démontré, volontairement ou non, que la vie pouvait encore lui réserver de belles choses. Surtout vu sa réaction après ce qui s'est passé ! J'ai cru qu'il allait devenir fou quand tu n'as plus donné signe de vie.
— Oh ! Ça m'intéresse ! Je suis certaine qu'ils me cachent des choses, ma fille et lui. Ils se sont énormément rapprochés pendant cette épreuve, mais j'ai encore du mal à réaliser ce par quoi ils sont passés, ils ne me disent pas tout, clairement.
— C'est vrai que c'était toujours « Garance par-ci », « Garance par-là », se remémora Flore. Ils étaient en contact permanent au cas où l'un ou l'autre ait des nouvelles. Tu as de la chance qu'ils s'arrangent bien, tous les deux. Au début de ma relation avec Arnaud c'était très compliqué avec ses enfants, surtout sa fille, ça a bien failli nous séparer !
— Oui, je suis soulagée, sans la bénédiction de Garance je n'aurais pas envisagé de construire quelque chose avec Victor, elle a beaucoup trop souffert de ma relation avec Maxime. C'est la seule chose que je regrette de cette histoire !
— Je crois qu'on a raison de s'attacher à ces deux-là, ils en valent la peine, déclara Flore en avisant les deux hommes qui sortaient de la cabine pour les rejoindre.
Clémentine observa Victor et se rangea à cet avis. Elle le trouva beau. Il était bronzé, il souriait, ses épaules étaient basses et sa tête haute, loin de l'homme qu'elle avait rencontré, perpétuellement sur ses gardes et qui pourtant l'avait attirée. Elle pensa à Garance, bien vivante et épanouie dans sa nouvelle vie à Toulouse. Elle ne prétendait pas le changer, mais s'il parvenait par son amour à combler petit à petit les failles qui la déchiraient, alors elle acceptait de l'aider en retour tandis qu'il luttait en permanence contre la noirceur menaçante, apportée par l'insidieux souvenir de la perte de son enfant.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant