Chapitre 15

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— Tu n'as pas bonne mine, déclara Arnaud. Tu es sûr que tu ne veux pas venir réveillonner avec nous, ça te changerait les idées.
— Non, je t'ai dit, je ne serais pas de bonne compagnie.
— Très bien, j'avais promis à Flore que je te demanderais à nouveau mais je n'insiste pas ! Qu'est-ce que tu vas faire ?
— Je vais aller rendre visite à mon paternel. Ça l'enchante, et ça fait longtemps.
— C'est bien, ça ! Je préfère savoir que tu ne seras pas seul. Tu lui passeras le bonjour de ma part. Il est au courant pour Clémentine ?
— Non, il sait que je ne suis plus avec Lou mais je ne lui ai pas parlé de Clémentine. Et arrête de t'inquiéter pour moi !
— J'arrêterai de m'inquiéter quand tu iras mieux ! Regarde-toi ! Tu ne manges plus, tu dors mal, tu t'isoles. Fais gaffe, Victor, on ne te reconnaît plus.
— Tu causes avec mon psy ou quoi ?
— Bon, bon, j'arrête. De toute manière tu sais ce que je pense...
Arnaud était persuadé que Victor se berçait d'illusions en guettant un signe de Clémentine, et il craignait que la chute soit dure pour son ami lorsqu'il s'apercevrait de la réalité. Il ne comprenait pas que Victor s'accroche ainsi à la jeune femme, alors qu'il avait à ses pieds bon nombre de candidates pour la remplacer. La nouvelle de sa rupture avec Lou s'était répandue comme une traînée de poudre dans leurs réseaux de relations et il n'aurait aucun mal à séduire à nouveau si seulement il voulait bien se donner la peine. Son idylle avec Clémentine n'avait duré que quelques semaines et s'était mal terminée, que pouvait-il espérer ? Arnaud n'osait pas rappeler à son ami qu'au départ il n'était même pas question de sentiments. Clémentine – si tant est qu'elle en ait eu à un moment – était déjà probablement passée à autre chose, ou du moins le ferait quand elle se serait remise de son récent traumatisme.
Ils avaient abordé le sujet en long, en large et en travers et s'étaient finalement accordés sur le fait qu'ils n'étaient justement pas d'accord, et en restaient là bien volontiers. De toute façon, Arnaud n'était pas venu pour parler de Victor, et le lui annonça.
— Flore et moi allons nous marier ! déclara-t-il.
— C'est pas vrai ! Vous deux, mariés ? Je ne m'y attendais pas !
— Pour tout te dire, moi non plus !
— C'est elle, qui t'a fait sa demande ?
— Oui ! Elle m'a parlé de la chance qu'on a tous les deux, qu'on n'en profite pas assez, et je n'ai pas pu lui donner tort.
Pour ne pas risquer de blesser son ami, Arnaud n'ajouta pas que ce qui était arrivé à Clémentine – et les conséquences pour sa relation avec Victor – avait profondément ébranlé Flore.
— Eh bien ! Félicitations, je suis content pour vous ! Trinquons !
Victor alla chercher une des bouteilles de champagne qu'il gardait au frais en toutes circonstances et revint dans le salon avec deux flûtes. Il était sincèrement heureux pour ses amis. Il était divorcé, elle était veuve, ils s'octroyaient une deuxième chance de goûter au bonheur, et ils le méritaient.
— Ce n'est pas tout, continua Arnaud. J'aimerais beaucoup que tu sois mon témoin. Je sais que tu n'as pas le cœur à la fête ces temps-ci, mais c'est vraiment important pour moi. Même si on va organiser quelque chose de simple, je n'imagine pas le faire sans toi à mes côtés.
— Bien sûr, je ne raterais ça pour rien au monde, tu peux compter sur moi ! Quand est-ce que Flore veut te passer la bague au doigt ?
— Au printemps ! Probablement mai, ou début juin.

Ce soir-là Victor prépara sa valise pour les quelques jours qu'il passerait chez son père. Ses costumes habituels ne conviendraient pas dans la maison familiale à la veille de Noël, alors il empaqueta jeans et pull-overs bien chauds, sans oublier sa plus grosse doudoune. Il n'avait partagé que peu de moments avec Clémentine – Arnaud avait raison sur ce point – mais chacun d'entre eux était gravé dans sa mémoire et surgissaient dans son esprit de la plus surprenante des manières, quand il s'y attendait le moins. Ce coup-ci il se rappela en pliant un simple polo de la fois où Clémentine s'était moquée, lui demandant très sérieusement s'il lui arrivait de porter autre chose que ses sempiternelles chemises blanches ou bleu ciel. Il est vrai qu'ils ne s'étaient vus qu'en marge de leurs journées de travail, soit le matin avant qu'il ne parte au bureau soit le soir quand il en sortait, et comme leur activité principale consistait surtout à se dévêtir il n'avait pas eu l'occasion de lui montrer une autre facette de lui que l'homme d'affaires toujours tiré à quatre épingles. Si seulement nous avions eu le temps de faire cette balade en mer, songea-t-il.

Depuis qu'il avait décidé d'aller à Saint-Jean-Pied-de-Port – où vivait son père – une obsession taraudait Victor. Il passerait forcément par Toulouse pour s'y rendre. Il mourrait d'envie de s'y arrêter, mais son instinct lui disait que ce n'était probablement pas une bonne idée. Ses tergiversations s'interrompirent lorsqu'il reçut justement un appel de Garance. Elle lui donna quelques nouvelles rassurantes de sa mère avant de lui annoncer qu'ils passeraient les fêtes de fin d'année en famille chez ses grands-parents paternels dans la campagne toulousaine. Olivier s'y rendrait dès le début des vacances scolaires et Garance avait mis comme condition que Clémentine se joigne à eux. Séparés ou pas ils étaient une famille et il était inenvisageable qu'elle laisse sa mère réveillonner seule. Victor se mordit les joues pour ne pas avouer à la jeune fille qu'il aurait préféré qu'elle n'en fasse rien, mais il se consola un peu quand Garance précisa qu'elle avait dû insister et que si elle l'avait laissé décider, Clémentine serait restée en solitaire dans le minuscule studio qu'elles partageaient, Noël ou pas Noël.
Victor ne pouvait pas s'empêcher d'être jaloux à l'idée que Clémentine et Olivier se retrouvent. En terrain familier, dans une ambiance de fête et entourées des souvenirs des réveillons précédents passés ensemble ne risquaient-ils pas de se rapprocher ? Il savait qu'Olivier était toujours amoureux de sa femme, ce n'est pas lui qui avait demandé le divorce. Malgré l'adultère il avait pardonné à Clémentine et il avait tout fait pour retarder l'officialisation de leur séparation, qui du coup n'était toujours pas entérinée. Victor se demanda si Clémentine envisagerait cette éventualité. Nul doute que c'était un choix rassurant. Au temps de leur aventure elle semblait avoir tiré un trait sur sa vie maritale passée mais qu'en était-il maintenant ? Que savait-il de ses sentiments maintenant ? Putain, Arnaud a raison, constata-t-il, amer. Et si ? Et si ? Il ne faisait que ça, ces derniers temps : se poser des questions. Et il n'avait aucune idée de comment s'y prendre pour obtenir des réponses sans tout foutre en l'air.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant