Chapitre 23

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Il était 11 h 30 passées quand Clémentine rentra enfin chez elle. Elle se débarrassa sur le paillasson de ses chaussures maculées de sable et se dirigea hâtivement vers la salle de bain, il ne lui restait pas beaucoup de temps avant que Victor arrive et elle le connaissait ponctuel.
— Tu as couru un marathon ou quoi ? l'apostropha Garance de sa chambre.
La jeune fille commençait à s'inquiéter et – pas pour la première fois – maudit sa mère de partir courir sans son téléphone.
— Je me dépêche ! répondit simplement Clémentine.
Sa fille n'avait pas besoin de savoir qu'elle avait passé la majeure partie du temps de sa sortie à pleurer comme une madeleine assise sur un brisant jusqu'à être transie.
Trente minutes plus tard, Clémentine était en train d'ajuster une paire de créoles à ses oreilles face au miroir du séjour lorsque un coup sec sur la porte annonça l'arrivée de Victor.
Garance devança sa mère et ouvrit en grand.
— Salut ! lança-t-elle joyeusement.
En retrait, Clémentine observa son ex-amant et sa fille se retrouver comme deux vieilles connaissances.
— Dis-donc, tu as minci depuis la dernière fois qu'on t'a vu ! commentait Garance. Tu t'es mis au sport, finalement ? Remarque, c'est vrai que ça fait un bail.
La mâchoire de Clémentine se décrocha tandis qu'elle dévisageait sa fille.
— Quoi ? Tu n'es pas d'accord, Maman ?
— Euh... si, balbutia Clémentine, ça me fait tellement drôle de voir que vous vous connaissez si bien, c'est tout. C'est vrai que tu as l'air en forme, ajouta-t-elle en s'adressant à Victor.
Il se regardèrent timidement, la présence de Garance rendait leurs retrouvailles confuses.
— Tu sembles bien aller aussi, observa-t-il.
Elle hocha la tête en silence, il y avait trop de choses à dire pour expliquer quoique ce soit. Victor lut dans ses yeux ce qu'elle n'arrivait pas à exprimer. Ils avaient tout le temps pour y revenir si elle le souhaitait. Plus tard. Il ouvrit les bras et elle vint s'y loger brièvement. Puis, sous le regard amusé de Garance, elle se dégagea maladroitement de son étreinte. Troublé lui aussi, Victor se racla la gorge.
— Je mentirais si je disais que je fais davantage d'activité pour m'entretenir, répondit-il finalement à Garance pour détendre l'atmosphère, mais il faut croire que moins travailler aide à conserver une bonne condition physique, j'ai pas mal levé le pied ces derniers temps ! Mais toi ? Il me semble que tu avais pris comme bonne résolution d'aller courir. Tu t'y tiens ?
La jeune fille grimaça.
— Non, j'avoue, j'y suis allée trois fois, c'est tout. Mais il fait froid, aussi !
— Ce n'est pas une excuse, tu devrais prendre exemple sur ta mère, qui est assidue, elle !
La moue de Garance les fit rire tous les trois. Victor suggéra de les conduire jusqu'à un restaurant en dehors du centre-ville où on pouvait déguster de délicieux fruits de mer ou la pêche du jour, dans une salle dont les larges baies vitrées donnaient sur la mer. L'été, la terrasse ne désemplissait pas. Clémentine accepta volontiers. Elle n'avait pas mangé au restaurant depuis des lustres et la proposition était alléchante, elle adorait les fruits de mer. En revanche, le téléphone de Garance vibrait incessamment et elle semblait hésiter.
— Ton amoureux ? la taquina Victor.
Elle leva les yeux au ciel sans prendre la peine de répondre à la question.
— Jess propose qu'on se rejoigne à la gare pour aller chercher son frère, il arrive par le train de 13 h 22. On mangerait un bout sur place en attendant. Ça vous dérange si je vous fais faux bond ?

Clémentine dut avouer que Victor avait vraiment le chic pour dégotter les bonnes adresses. L'établissement était à la hauteur de ses promesses : les plats étaient délicieux, le service impeccable et la vue à couper le souffle. En arrivant, elle n'avait pas pu se retenir de pousser une exclamation de surprise en découvrant la beauté du panorama. Fier de son effet, Victor l'avait guidée vers la meilleure table, qu'il avait pris soin de réserver la veille – pour trois, mais pour être honnête le désistement de Garance ne le dérangeait pas vraiment. Malgré tout, Clémentine était distante. Elle s'extasiait, leur conversation était plaisante, mais il sentait que le cœur n'y était pas.
— C'est l'absence de Garance qui te rend triste ? demanda-t-il.
Clémentine arrêta son geste à mi-hauteur alors qu'elle s'apprêtait à enfourner une noix de Saint-Jacques cuite juste comme il faut – à peine – dans une délicieuse marinade au citron. Elle reposa sa fourchette lentement, désarçonnée par la pertinence de la question. Victor se trompait sur la raison de sa peine, mais il savait sans aucun doute qu'elle n'était pas aussi enjouée qu'elle le prétendait. Elle croyait pourtant donner le change. Mais il voyait clair en elle, comme toujours. Là encore ses prunelles sombres la transperçaient en attendant qu'elle réponde. Elle ne pouvait pas lui mentir. N'en avait pas envie de toute façon. Les yeux commencèrent à lui piquer.
— Non, ce n'est pas ça, balbutia-t-elle en tentant de retenir les sanglots qui montaient dans sa gorge.
En dépit de sa perspicacité, Victor ne s'était pas attendu à une si vive émotion. Il se pencha au-dessus de la table et attrapa la main de Clémentine qui tenait toujours sa fourchette.
— Eh ! Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il doucement.
— Ça ne va pas ! Je ne vais pas y arriver ! J'ai l'impression... d'être revenue au point de départ ! J'aurais mieux fait de rester à Toulouse !
La chaise de Victor racla le sol quand il la fit glisser le long de la table pour se rapprocher de Clémentine.
— Enfin ! Pourquoi hier soir tu m'as fait croire dans tes messages que tu étais contente d'être rentrée ?
— C'était le cas ! J'étais sincère !
— Qu'est-ce qui s'est passé alors ?
— C'est seulement quand je me suis couchée que je me suis sentie mal. Dans ma chambre...
A court de mots, elle serra les poings contre sa poitrine pour matérialiser l'oppressement qu'elle avait ressenti.
— C'est idiot, mais j'avais l'impression que Christophe m'observait encore, ou qu'il allait arriver.
— Tu aurais dû m'appeler !
— Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Je ne pensais pas... je ne pensais pas que ça me ferait cet effet de rentrer.
— Ce n'est pas si étonnant, vu tout ce qu'il s'est passé dans cet appart ! Tu ne peux pas rester là-bas !
— Je sais. Je dormais mieux à Toulouse ! Je vais essayer de trouver un autre appartement, c'est ce que j'ai de mieux à faire, il y a trop de mauvaises ondes dans celui-ci.
— Je pense que c'est une bonne idée, mais tu ne vas peut-être pas trouver tout de suite. Pourquoi tu ne viens pas à la maison en attendant ? Garance aussi bien sûr, si elle veut.
Victor se pinça les lèvres en guettant la réaction de Clémentine. Il avait déjà manqué une occasion d'être près d'elle alors qu'elle en avait besoin, il ne la lâcherait pas cette fois.
— Je ne sais pas... je vais bien m'habituer, toutes les nuits ne seront pas aussi terribles.
— C'est trop bête de t'infliger ça ! J'ai des chambres vides à ne plus savoir que faire ! insista-t-il.
— C'est adorable de ta part, mais... je ne crois pas que ça soit une bonne idée...
Victor leva toute ambiguïté. Il n'était pas question de rendre Clémentine plus mal à l'aise qu'elle ne l'était déjà, c'était l'opposé de l'effet recherché.
— Ecoute, clarifia-t-il, n'y vois pas plus que ce que je te propose : une chambre d'amis où t'installer le temps de déménager.
Clémentine se sentait tellement lasse. Passer une nuit de plus dans son appartement était au-dessus de ses forces, rien que d'imaginer se trouver seule dans sa chambre à nouveau la fit frissonner. Elle n'avait même pas une amie suffisamment proche chez qui elle pourrait trouver du réconfort. L'hôtel ? Avec ce qu'elle touchait en ce moment – en arrêt maladie – elle n'avait pas vraiment les moyens, et trouver un nouvel appartement dans lequel elle se sente en sécurité pourrait effectivement prendre plusieurs jours, des semaines peut-être. Alors, imperceptiblement, elle acquiesça.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant